13 septembre 2008

Virée moscovite

Une semaine vraiment fantastique que celle que j'ai passée en Sainte Mère Russie.

Décollage jeudi 4 septembre le matin pour arriver le soir vers 18h (heure locale) après une escale à Francfort. Premières péripéties administratives : avant d'arriver en Russie on nous file dans l'avion un petit formulaire à remplir afin de s'enregistrer auprès des autorités locales. Le blabla habituel : nom, prénom, numéro de passeport et, pour les visas touristiques tels que le mien, l'hôtel où je réside. Oui, alors étant donné que les papiers à obtenir pour se faire héberger chez l'habitant sont chiement longs à avoir, Anna m'a combiné, à l'aide d'une amie à elle travaillant dans une agence de tourisme, un certificat plus ou moins bidon, comme quoi j'allai être logé par cette agence dans un hôtel. Seulement voilà, ce n'est pas le cas, et sur ce foutu formulaire d'immigration, j'ai mis le nom de famille de ma chérie, faute de mieux.

Dans la file d'attente pour se faire tamponner passeport et dit formulaire, un type me raconte comme quoi il ne faut pas oublier de s'enregistrer au commissariat car faute de quoi, les flics te foutent une amende et peuvent te retenir, le temps que tu loupes ton avion. La merde quoi ! Bref, parmi toutes les jolies nanas qui martyrisaient les fafs, je tombe sur la rombière pas aimable qui discute avec sa collègue. Elle fout un coup de tampon orange sur mon passeport et me fait signe de passer... Bon, c'est certainement plus tard pour le formulaire...

En entrant dans le hall d'arrivée à l'aéroport, je tombe sur un grand groupe d'asiatiques qui cache mon phare d'Alexandrie moscovite, que j'embrasse dans mes bras et serre à pleine bouche. Anna me présente alors son père et son "petit" frère. Le premier est un bonhomme avec une moustache aussi grise que ses cheveux, fin et pas forcément méchant. Le deuxième est grand, assez balèze (mais le balèze gras plutôt que le balèze musclé), avec de grands yeux globuleux et de cheveux bruns. Je leur sors un "Nice to meet you" dans l'espoir d'établir un contact fertile en langue shakespearienne, mais que nenni ! Russian only ! Ca va être agréable les repas tiens !

Bref, le frère, Alexei, propose gentiment de me porter mon sac et, avec son père, nous laisse partir devant Anna et moi. Nous sortons de l'aéroport et... il fait chaud ! 27 degrés pour être précis ! Tu parles d'une météo russe ! Nous prenons place dans la voiture familiale, une vieille auto noire qui tient malgré tout la route, et en avant ! Oui, parce qu'Anna habite en banlieue moscovite, à 85km de l'aéroport.

Le trajet est intéressant au niveau du paysage. Bon, autour de l'aéroport, c'est encore la ville. Les routes sont larges, les publicités et panneaux routiers écrits en alphabet cyrillique que je m'amuse à déchiffrer (Anna m'a appris la prononciation des lettres, mais c'est quand même pas évident, surtout quand nos lettres à nous sont prononcées différemment. Chez eux, un 'P' se prononce 'r', le 'B' comme 'v', le 'H' comme 'n'). Le soleil du soir ajoute une note un peu triste et désolée sur les parkings et magasins. Il faut dire aussi que c'est d'origine assez désolé. Décor de pauvre, mais pas malsain, pas sale. Mais les immeubles font assez pouilleux, les arrêts de bus bancals, et peut-être aussi le préjugé que je me fais du lieu malgré tout doit y être pour quelque chose dans mon impression d'abandon.

Une fois entré en territoire rural, là aussi je retrouve des éléments en faveur de la pauvreté et de la désolation. La route, après avoir passé quelques champs, devient monotone et traverse une grande forêt. Pas aussi touffue que celle de Fontainebleau, mais les arbres font la majorité sur le bord de la route. Dans le rôle des minorités visibles, quelques entrepôts de métallurgie ou de béton, des grappes d'habitations par-ci par-là, des arrêts de bus au milieu de nulle part. Encore une fois, ce n'est pas Beyrouth, mais il y a quelque chose de misérable dans l'air.

Anna est dans toutes les conversations durant le trajet. Forcément, puisque je ne peux communiquer avec les autres membres de la famille. Elle nous sert d'interprète quand son père me pose des questions ou quand je lui en pose, mais on est loin des conversations à bâtons rompus.

Enfin toujours est-il que nous quittons la nationale pour entrer dans un village, puis sur une route champêtre aussi trouée qu'un gruyère (quelle comparaison hardie !). Une petite pause devant une maison le temps de récupérer deux bocaux de lait de chèvre fraîchement trait, quelques mètres encore à faire souffrir les suspensions et nous voilà arrivés devant une charmante maison, très rustique, mais agréable.

L'habitation est vieille, cela se voit, mais l'intérieur est bien aménagé malgré les rafistolages que l'on peut apercevoir un peu partout. Tout en bois, des portes et des lustres bas, des bibliothèques garnies, un petit home cinéma dans le salon, de vieilles photos extrêmement russes, une cuisine simple mais efficace. Le jardin est immensément grand. Juste derrière la maison, des parterres de fleurs de toutes les couleurs, un petit coin aménagé pour accueillir un feu de camp, deux balancelles placées autour d'un petit bassin qui gazouille d'eau; un peu plus loin sous un toit de tôle, le bordel habituel des outils de jardin, une grande cabane en bois dont j'apprendrai l'utilité plus tard. Encore plus loin le potager, puis le reste du jardin qui est en friche car vue la superficie du terrain, ce n'est pas possible pour un seul homme de tout entretenir.

Je rencontre alors la mère, une bonne femme avec un look rappelant un peu les années 80 qui, bien que fort hospitalière, ne s'est pas montrée aussi chaleureuse que le reste de la famille. Nous passons alors à table.
En Russie, la bouffe, c'est le matin si t'as le temps, niet le midi parce que tu bosses et surtout le soir. Globalement, il y a de temps en temps un plat principal avec de la viande et le reste, c'est des petits plats préparés que tu picores si tu en as envie. Pour mon premier repas en terre russe, j'ai eu le droit à une salade de chou rouge avec maïs, petits pois et oignons, deux bons morceaux de volaille avec de la purée de pommes de terre si épaisse qu'on aurait pu bâtir une maison avec, et des blinis avec confiture ou une espèce de fromage blanc crémeux. C'était fort bon. Et comme boisson, du thé, toujours du thé, encore du thé, avec un nuage de lait. Parfois du lait seul, mais je n'ai pas vu de pichet d'eau à table. Ils ont une fontaine à eau comme dans les entreprises car l'eau du robinet n'est pas bonne (ce que j'apprendrai à mes dépends plus tard).
Durant la mastication, je discutaille plus ou moins avec le père qui énumère les acteurs et chanteurs français qu'il connaît (la culture française est très présente en Russie, notamment parce que nos pays ont partagé un morceau d'Histoire). Anna nous aide pour les idées trop complexes à formuler en signes ou petit nègre anglais. Après ce plantureux repas bien accueilli (les plateaux repas de Lufthansa, c'est fonctionnel, mais pas plus), les hommes me convient au salon où l'on cause de musique. Joie, la famille aime le bon vieux rock 'n roll ! Grâce au frère qui baragouine quelques mots d'anglais malgré tout, on arrive à discuter de musique quelques temps. Après cela, douche et dodo car la journée, bien qu'inactive, à été longue.

Le lendemain, nous nous levons aux aurores, vers midi, pour prendre un grand petit déjeuner (un peu à l'anglaise avec des saucisses, des blinis, encore de la salade de chou et du thé) et partons vers la gare pour nous rendre à Moscou. Le chemin vers celui de fer est champêtre, parmi les poules, les coqs et les chiens. Il fait beau et chaud, l'air sent bon la campagne. À la gare, Anna tente d'acheter deux tickets avec un gros billet, mais la guichetière le boude parce que pas de monnaie. Bon, pas contrariante, ma chérie nous fait passer par un défaut dans la barrière qui nous sépare des quais. Il faut préciser que nous ne sommes pas les seuls à emprunter ce raccourci, ce qui me rassure un peu. Nous descendons sur le quai en direction de Moscou quand tout à coup, des contrôleurs font leur apparition ! Diantre ! Nous montons donc en queue de train avec l'espoir de leur échapper.

Le train dans lequel je monte est très... comment dire... brut de fonderie si je puis me permettre l'expression. Ce que j'appellerais l'entrée du wagon (un peu comme dans les TGV quand on franchit la porte) est gris, froid et pue la clope. Deux portes coulissantes, qui coulissent au gré des virages d'ailleurs, nous permettent d'accéder aux places assises. Dire que certains se plaignent des "p'tits gris", ces trains de banlieue qui joignent Paris à Melun (entre autre) ! Les banquettes sont en bois, du bon bois bien dur, bien tape-cul. C'est principalement gris à l'intérieur, métallique, comme si on se trouvait à l'intérieur d'un container. Le train part sans qu'aucune sonnerie ne se fasse entendre, et c'est parti pour une heure de siège en bois vers Moscou.
Le paysage qui défile est similaire à celui de la voiture, mais avec encore plus cette sensation de paumé, d'isolé, d'abandonné, mais avec malgré tout beaucoup de gens qui marchent le long des voies, sur des chemins plus ou moins tracés, voire qui enjambent les rails pour accéder aux quais de leur gare, laquelle consiste souvent en deux simples plates-formes de parpaings peintes et goudronnées, avec une espèce de bâtiment histoire de se protéger en cas de mauvais temps.

J'alterne entre regarder le paysage et me reposer les yeux de ma courte nuit quand soudain, semblant crever le ciel et venant de nulle part surgit un contrôleur (non, pas noir). Angoisse et crainte ! Certainement une grosse amende et comme je ne me suis pas encore fait régulariser auprès du commissariat, il suffit que je tombe sur un enculeur de mouches pour que la situation deviennent franchement désagréable. Anna garde son calme et me fait juste signe de ne rien dire. Qu'aurais-je dit de toutes façons ? "Bistro" ? Le type arrive, Anna lui tend un billet, il arrache une feuille de papier rouge de son calepin, rend la monnaie et continue son service. Pas un mot n'a été échangé. 108 roubles d'amende, ce qui nous fait à peu de choses près 3 euros... Pour tous les deux... J'ai passé les dix minutes suivantes à demander à Anna une explication rationnelle, mais non : cela coûte moins cher de se prendre un amende que de payer son billet ! Cool !

Arrivée à Moscou. Après avoir franchi les tourniquets pour sortir de la gare comme de vulgaires pauvres de banlieue, nous faisons quelques pas dehors pour nous engager dans une bouche de métro. Pas mal de vendeurs ambulants dehors, rien en bien intéressant. 20 roubles pour une carte permettant quatre trajets en métro. On est loin des 1,50EUR pour UN pauvre ticket violet hein ?

Les stations de métro de Moscou sont... belles. Magnifiques, ouvragées, neuves, propres, artistiques. Flemme de décrire, les photos sont sur mon site. L'ambiance par contre est très rapide, stressée. Il y a beaucoup de monde dans les stations, et du coup, on se pousse, on se serre, mais sans forcément être désagréable ou mécontent. J'ai l'impression que tout le monde s'est mis d'accord sur le fait que tout le monde est pressé d'arriver à destination, alors on accepte la règle du jeu de la bousculade.

Destination d'origine : la place Rouge. En sortant du métro, on tombe sur une belle petite église orthodoxe (forcément !) bien rouge, bien dorée sur les toits, bien flambante neuve. Ce n'est qu'une église anonyme parmi d'autres, mais comparée aux églises anonymes de Dublin (je prends Dublin parce que les Irlandais sont quand même un poil plus portés sur la religion que nous), ca en jette ! Direction place Rouge donc, mais finalement non... Des barrières barrent le chemin et un policier nous informe que la place est fermée en vue de préparer un match de boxe ce week-end. Peste ! Bon, finalement nous nous baladons près du Kremlin, visitons une église et un centre commercial, nous promenons sur une grande place et dans un jardin à côté d'icelle. Anna voulait m'amener au Conservatoire de Moscou pour y écouter un récital de piano joué par une nana et un type (successivement).

Rien de bien passionnant à raconter ici. La salle dans laquelle nous sommes est riche et jolie, et nous succombons à la tentation de rentrer à la maison car nous avons l'estomac dans les talons. Nous attendons la fin de la première partie et assistons à un début de rixe entre un bonhomme un peu fou devant nous qui s'excitait sur la chaise du type devant lui lors d'une apothéose musicale jouée au piano. Rien de méchant, mais c'était cocasse un embryon de pugilat dans un lieu si prestigieux. Bref, train pour le retour et... Баня (prononcer "bane-ya").

La Баня, c'est une façon traditionnelle russe de faire sa toilette. Anna m'a signalé que cela se passait dans la grande cabane en bois au fond du jardin, mais ne m'en a pas dit davantage pour me laisser la surprise. Bon, dans un lieu clos, il ne pouvait s'agit que d'un truc de vapeur (j'ai écarté l'hypothèse du trou dans le sol). J'y suis allé avec le frère, le père ayant déjà été servi et les femmes y allant ensembles. On s'y rend donc en sous-vêtements histoire de ne pas s'encombrer. On entre dans la cabane et, dans une première petite pièce toute en largeur et en bois, la température doit avoisiner les trente degrés. On se fout à poil et on entre dans une deuxième pièce, carrée avec deux robinets dans un coin et des bassines en métal sur une table, toujours en bois. Le thermomètre indique 50 degrés. Le temps de prendre un drap qui pendait sur un clou, on entre dans la troisième et dernière pièce, où se trouve le four. On pose le drap sur un haut banc en bois, histoire de ne pas se brûler le cul, et on sue jusqu'à ce qu'on n'en puisse plus. La chaleur est étouffante. Faut dire qu'à près de 100 degrés, j'ai quand même une bonne excuse. Pas de vapeur, mais tout connement un four sous des pierres de lave dans lequel on fait brûler du bois. Je suis en nage au bout de trente secondes et je fais l'effort de rester peut-être cinq minutes. Je prends une petite bouffée d'air "frais" dans la pièce d'à côté avant de m'en refoutre un coup histoire de faire mon fier.

Ensuite, on se lave (enfin chacun se lave hein, faut pas croire des trucs non plus !) et on se frotte la peau avec un gant de crin histoire de bien faire partir le sale des pores de la peau qui doivent être aussi dilatés que... j'aurais bien une comparaison, mais c'est sensé être un blog tout public, alors on passera. Une fois rincés, nous sortons. Les vingt degrés du soir me sont une bénédiction après cet avant-goût de l'enfer. Anna est là pour voir ma réaction à cette coutume russe. Ma foi je me sens bien, mais malgré m'être essuyé et la relative fraîcheur du soir, je sue toujours à grosses gouttes. Je rentre dans la maison, encore essoufflé, me sèche tant bien que mal et me repose afin de reprendre une température normale. J'ai tout de même un peu la tête qui tourne à cause du manque d'oxygène...

C'est assez plaisant même si c'est très éprouvant pour le corps. On est crevé après et Anna m'a confié qu'elle allait à la Баня le soir avant de se coucher. Mais pour le coup, c'est clair qu'on se sent propre et dispos comme après la douche qui suit un grand effort physique.

Manger et dodo.

Le week-end est là et nous ne faisons rien. Enfin JE ne fous rien car Anna doit écrire un rapport sur un stage qu'elle n'a pas effectué. Grasse mat', larvage, matage de DVD avec le frangin, mangeage. Nous avons le droit à la visite de la grand-mère paternelle, à qui je plais bien (j'ai un certain charme auquel les vieilles dames résistent peu), ainsi qu'un feu d'artifice tiré de Moscou, ce qui est assez hallucinant quand on pense que la capitale est à 50km de là où nous sommes, et les feux sont très très visibles. J'aurais bien aimé être dans la ville à ce moment-là, les fusées devaient être impressionnantes.

Lundi. Pour mes jours qui restent, après en avoir passé deux à ne rien faire, j'ai quand même envie de visiter ! Direction Moscou donc. D'abord, et avant d'aller au commissariat m'enregistrer en tant que touriste, petit détour par l'endroit où travaille l'amie d'Anna, Katia, qui m'a obtenu mon certificat plus ou moins bidon. En lui présentant mon passeport et ma fiche d'immigration, elle soulève un souci et un sourcil : la bougresse de l'aéroport aurait du me tamponner ce formulaire en plus de mon visa. C'est pas bien grave, mais du coup, inutile d'aller au commissariat, ils ne peuvent pas faire quoi que ce soit avec un formulaire d'immigration vide. Soit. J'ai juste à éviter les contrôles d'identité durant le reste de mon séjour et tout devrait bien aller.
Nous nous rendons alors sur une immense esplanade dédiée à la Seconde Guerre Mondiale, Poklonnaya Gora (Покло́нная гора en Russe), avec des fontaines, chacune symbolisant un mois passé en guerre et des colonnes en l'honneur de différents corps militaires russes. Au fond, un grand bâtiment en arc de cercle au centre duquel se dresse un grand obélisque. Là encore, voir photos pour plus de détails. Il fait tellement chaud que nous nous aspergeons avec l'eau des fontaines. On traîne pas mal car c'est très agréable comme endroit, surtout avec l'eau à portée de main. Ensuite direction Conservatoire de nouveau car un concert de classique y est donné pour gratuit dans la Grande Salle toute jolie et tout.

Seulement voilà, je me traîne un mal de bide pas possible. Après réflexion, c'est un truc que j'ai bouffé le matin qui serait mal passé. Anna a voulu me faire goûter des espèces de fromages blancs à la crème. Ce que j'ai fait, et c'était pas mal du tout. Mais trois grosses cuillères à café sur une tartine, c'était un peu trop, surtout vu la quantité de gras dans ces produits-là. Bref, je vis un calvaire intestinal et stomacal dans la chaleur étouffante des rues de Moscou pour nous rendre au Conservatoire (en trottinant car nous sommes un peu en retard). Une fois installés dans la Grande Salle et avant que le concert ne commence, je m'éclipse aux toilettes parce que là vraiment, mon corps a atteint les limites de l'insoutenable. Je passerai les détails de mon séjour aux wawa russes, mais ca allait bien mieux après. Ma chère Anna est sortie de la salle pour m'attendre à la sortie des WC et me propose de rentrer. Bien que lui certifiant que je vais bien mieux, elle ne démord pas et me dit que la première partie du spectacle lui suffisait. Bon... Rentrons alors.

L'eau du robinet en Russie n'est pas de la même qualité que chez nous. Fait que j'ignorais au moment d'en boire après mon séjour aux toilettes afin de me rafraîchir un peu et de passer le goût. Je suis obligé de descendre à une station isolée avant notre arrivée pour aller rendre cette mauvaise eau dans des plantes. J'ai fait un effort surhumain pour ne pas faire cela dans le wagon, bien que des soûlauds ne se gênaient globalement pas pour régurgiter leur trop plein d'alcool entre deux. Bref, et finalement on rentre, je mange peu, bois beaucoup de bonne eau et fais dodo.

Le lendemain, c'est plus touristique et moins anecdotique. Nous visitons la galerie d'art d'état de Tretyakov (Государственная Третьяковская Галерея en Russe), puis nous nous promenons dans la ville via des parcs, des petites rues agréables, nous traversons un pont qui enjambe le fleuve Moscou (ouais, ils se sont pas foulés) avec une magnifique vue sur le Kremlin, nous allons voir de plus près la cathédrale du Christ Sauveur (Хра́м Христа́ Спаси́тел), puis l'une des rues les plus anciennes de Moscou, la Vieille Arbat (Старый Арба).

Puis, pour mon dernier jour complet en terre Russe, nous nous rendons à la place Rouge, cette fois-ci ouverte, visitons la cathédrale St-Basile (Храм Василия Блаженног), un p'tit tour près du mausolée de Lénine, puis direction un parc dédié à l'aéronautique avec une grande sculpture de fusée au moment du décollage et les bustes des premiers cosmonautes russes (pléonasme). Ensuite, nous sommes allés au Centre panrusse des expositions (Всероссийский выставочный цент), un immense endroit avec parcs, fontaines et bâtiments, lesquels dédiés aux anciennes républiques soviétiques et dans lesquels se tiennent moult expositions.

Le soir, c'est petite séance Баня histoire de se décrasser, mais avec Anna ce coup-ci (ce qui est clairement plus agréable qu'avec son frère). Mais bon, il fait tellement chaud dans ce machin-là que le corps est plus occupé à lutter contre l'environnement hostile qu'à chercher perpétuer l'espèce, donc rien de vraiment probant ne s'est déroulé à l'intérieur, à la déception générale.

Puis c'est le jour du départ. Je me suis très bien entendu avec les parents d'Anna, et son père m'invite cordialement à revenir un hiver pour faire du ski, pêcher et tester le bain de neige après la chaleur infernale de la Баня (ce que j'ai très envie de faire). Puis bon ben... voiture, aéroport, escale à Munich (y'a un sex-shop dans l'aéroport !) puis retour chez moi, exténué.

Bref, un fantastique séjour. Moscou est vraiment une très jolie ville, immense, propre et très colorée architecturalement parlant. Les premiers jours étouffant de chaleur ont finalement laissé place à un bon froid gris. Nous sommes passés de 27 degrés à 7 degrés en 3 jours. Même les Russes trouvaient ça exceptionnel. J'étais bien mieux avec le froid qu'avec les moustiques (qui ont l'air d'avoir apprécié ma viande française les bougres). Ces sept jours avec Anna nous ont apporté encore plus de complicité et notre relation est encore plus solide. Ce que j'apprécie grandement. C'est une fille que je ne veux pas perdre.

Puis pour contrebalancer cette conclusion "gnangnan", j'ajouterai que j'ai également été très content de voir, pour la première fois depuis longtemps, ma collection de préservatifs diminuer de volume.

01 septembre 2008

"Sans titre" - Deuxième partie

Bon, cette deuxième partie a été longue à venir, mais bon, hein, j'ai une vie. Certains apercevront peut-être le filigrane que j'y ai inséré. Ce que je publie là maintenant n'est qu'un brouillon. Je n'ai pas eu le temps de relire ou de corriger les fautes et maladresses, il ne faut donc pas m'en tenir rigueur. Je publie cette deuxième partie malgré tout car je compte faire ça d'ici peu, mais pas tout de suite non plus. C'est donc un os à ronger histoire que ceux qui attendaient cette suite puissent s'amuser à critiquer. Par contre, certains changements dans le scénario ont rendu obsolète le précédent titre et je n'en ai pas encore trouvé de nouveau qui me convienne...

Quelques nouvelles brèves et purement égocentriques : tout va bien, que ce soit côtés coeur, boulot, activités. Je pars le quatre septembre pour une semaine à Moscou retrouver ma belle et je reviens le 11.

 
L'atmosphère était anormalement tendue dans la salle du grand conseil. Non pas que les membres y participant frôlaient l'infarctus et humidifiaient l'air de leur transpiration, mais leur habituel flegme et relative froideur avait cédé leur place à un stress grandissant. L'agitation de la population démoniaque laissait rarement présager quelque chose de bon.

L'immense pièce carrée où se tenait cette assemblée était chichement meublée, mais moderne. Et extrêmement splendide. Le parquet soigneusement verni ne comportait aucune rayure, non plus que le buffet en bois ni que les quelques classeurs ingénieusement disposés pour faire cohabiter fonctionnel et esthétique. Les bâtisseurs des Tours qui œuvrèrent il y a de cela des éons avaient fait un boulot superbe. Rien ne vaut la satisfaction d'un travail bien fait. Telle était leur philosophie et, fallait-il bien l'avouer sans ironie aucune, leur salaire. Les Tours d'Elendil ne furent pas construites par des milliers d'esclaves, motivés par les fouets et mourant à la tâche, mais par des maçons, ouvriers et architectes tout ce qu'il y avait de plus volontaires et extrêmement désireux d'accomplir parfaitement leur métier. Cela s'en ressentait, les Tours ayant pu faire pâlir de jalousie la plus sphérique des perles.

Le bois clair de la grande table autour de laquelle s'étaient réunis les représentants de la cité de Gesserit reflétait avec force les rayons du soleil qui dardaient à travers la splendide baie vitrée, auréolant les costumes blancs des quatre Cerveaux des quatre Tours d'Elentil. Deux femmes, deux hommes, tous habillés de classieux vêtements d'un blanc pur, tous arborant une longue chevelure blanche qui flamboyait comme une rivière de vif-argent.

- Quelle genre d'attaque subissons-nous ? demanda l'une d'entre elles de sa voix aussi douce qu'une étoffe de soie.
- Rien d'insurmontable pour le moment, mais l'ennemi n'est foutrement pas con ! S'cusez M'dame... Mes gardes font face à des espions miniatures ou invisibles qui tentent de se mêler à la circulation habituelle des grandes artères, à des agents camouflés dont l'un aurait pénétré dans l'une de ces Tours s'il avait eu le bon laissez-passer. Y'en a même qui ont le culot de se faire passer pour des Delphois ! Y manquent pas d'air à nous prendre pour des bringues ces fils de putes ! Pardon M'dame... À l'heure actuelle, ils essaient une nouvelle stratégie : j'ai du renforcer certains postes de gardes sur des routes secondaires qui ont été prises d'assaut par une chiée de vagues d'infiltrateurs, mais il n'y a pas à s'en faire. Ces salauds s'écraseront sur mes troupes comme des saloperies de flèches sur cette putain de montagne de Fed ! Désolé M'dame.

Les démons ne sont pas particulièrement portés sur l'érudition ou l'étiquette. Le Seigneur Démon de Gesserit, étant leur supérieur, l'est encore moins. Mais s'il est une qualité sociale qu'il faut bien lui reconnaître, c'est son charisme. Malgré ses crocs pointus qui lui sortent de sa gueule nauséabonde si grands qu'ils manquaient de lui percer les joues, malgré ses larges ailes mi-chauve-souris mi-dragon hérissées de piques aux articulations, malgré ses yeux rouges qui semblaient vouloir une mort affreuse au premier être vivant croisant leurs feux, l'optimisme qui rayonnait de ses dernières paroles rassura les membres du conseil.

Les quatre cerveaux restèrent soucieux malgré tout.

- Bien, commença le masculin de gauche.
Au même instant, un tube sortit du sol entre lui et sa voisine, monta jusqu'à atteindre la hauteur de la table, se recourba vers cette dernière et s'immobilisa. Un déclic, puis une coupelle se détacha de l'embout et sa balança très doucement au bout de trois petits câbles de cuivre souples. Un rouleau de papier y atterrit peu après, lequel fut saisi par la collègue (sœur ?) de celui qui prenait la parole.
- Bien, disais-je, reprit-il tandis qu'elle reposait le papier après l'avoir rapidement lu et se prenait la tête dans les mains pour se livrer à ce qui paraissait d'horriblement complexes calculs mentaux. Je pense que nous pouvons vous faire confiance Seigneur Démon. D'autant plus que nous vous avons octroyé un grand nombre de main d'œuvre ainsi qu'un plus libre accès aux Tours et à leur puissance.
Désormais, je souhaiterais aborder l'origine de cette offensive. Vous n'êtes pas sans savoir qu'elle a débuté en même temps que la disparition de Delphes. Peut-être ne s'agit-il là que d'une coïncidence, après tout la probabilité n'est pas nulle, mais pour des raisons de sécurité évidentes, nous avons décidé, mes collègues et moi-même, de préparer une Grande Migration.

Les réactions face à cette décision furent diverses. Le démon n'en eut aucune. Il continuait à se balancer sur sa chaise, s'équilibrant de ses musculeuses jambes reptiliennes et de très légers mouvements des ses ailes repliées. Ses yeux de fournaises fixaient le sol et l'immobilité de son aura vert sale laissaient à supposer qu'il méditait intensément sur des stratégies défensives ou bien communiquait avec l'un de ses lieutenant, voire les deux.

À sa droite, un homme brun et ténébreux qui semblait ridiculement petit en comparaison, mais qui ne l'était pas tant que ça en réalité, se tenait également silencieux, non pas à cause de la concentration. Il s'ennuyait à mourir. Qu'est-ce que le représentant de la Guilde des Communications pouvait bien apporter à un tel débat ? Le fonctionnement propre de la cité ne faisait pas partie de ses activités. Cette dernière consistait à entretenir et mettre à jour le réseau fort complexe et disparate de communication inter et intra cité.
Sur l'épaule droite de la veste marron qu'il portait se tenait un magnifique oiseau bleu électrique. Autour de son cou s'était lové un serpent au dos vert et au ventre jaune, qui humait l'air pacifiquement de sa langue fourchue. Sur ses cuisses, un chat angora faisait la sieste, ronronnant légèrement au rythme des douces caresses qui lui prodiguait son maître. Delphes s'était fourvoyée en faisant confiance aux machines pour ses communications. Chères, peu fiables, longues à construire et les quelques unes qui pouvaient se passer d'opérateur ou de conducteur étaient bien trop précieuses pour être envoyées à des tâches risquées. Quelles - mauvaises - raisons pouvait avoir la Guilde de Delphes pour préférer la mécanique à la biologie ? L'ingénierie au dressage ? L'intelligence à l'instinct ? Tout en s'enlisant dans ses rancunes, Eret Tenh donna télépathiquement à un beau renard à la fourrure flamboyante l'ordre d'aller porter une requête à l'une des mégalopoles par delà l'horizon.

Au même instant, celle des Cerveaux qui s'était écartée de la conversation pour se concentrer sur le contenu du rouleau de papier s'en saisit, y griffonna quelques symboles et le déposa dans la soucoupe d'origine. Le tube s'en alla comme il était venu avec le silence et l'élégance d'une griffe de puma.
De l'autre côté de la table était assise une personne qui ignorait tout ou presque du fonctionnement interne de la cite, mais sans qui celle-ci cesserait toute activité immédiatement. Le Contremaître des Sous-sols de la cité était un homme large et costaud, portant une barbe noire de bûcheron et passait pour extrêmement sympathique, du moins en dehors du travail. Ce dernier consistait à superviser l'extraction et la distribution de l'énergie des montagnes de Fed au reste de la cité. Transports, communications, divertissements, bibliothèques... tous comptaient sur lui pour être approvisionnés à la demande et ainsi ne pas sombrer dans une inactivité mortelle. Les Tours d'Elendil elles-mêmes perdraient leur puissance souveraine sur Gesserit si les mines de Fed venaient à s'épuiser.

Le Contremaître n'était pas spécialement impressionné ni affecté par l'importance de son poste. Certes, il avait maints ouvriers, extracteurs, régulateurs et autres sous ses ordres afin de veiller au grain en cas d'absence ou de disparition, mais la délicatesse du réseau de distribution nécessitait un calme, une connaissance et une autorité que nul autre ne possédait encore dans son équipe. Tout donneur d'ordres qu'il était, son humilité le faisait compatir avec ses semblables avec qui la nouvelle de la Migration passait moins bien.

À ses côtés était assis le Cadastre, une belle femme à la tenue stricte et au visage sévère. Elle avait une taille et des proportions parfaites, qu'elle promenait d'une démarche raide quasi-militaire, une chevelure dorée de rêve, qu'elle compressait en arrière en un chignon serré à tel point qu'on pouvait croire qu'elle ne pouvait plus froncer des sourcils. des lèvres incroyablement sensuelles, qu'elle maintenait closes en un mince filet de maquillage rouge. Elle prenait des notes depuis le début de la réunion, sans avoir levé les yeux une seule fois, noircissant son petit calepin de cuir d'une écriture élégante et chic comme ne robe de mariée. Elle braque grâce à son émeraude et son saphir un regard vairon aussi tranchant et sévère qu'une guillotine pour enfant sur les quatre costumes blancs.

Pour qui se prenaient donc ces quatre énergumènes ? Sous prétexte qu'il ont toute la puissance nécessaire, eux et leur quatre tours situées stupidement à une distance respectable du vrai cœur de la cité. À quoi seraient-ils réduits si les chers habitants étaient mal logés, entassés au-delà du raisonnable dans des baraques tellement branlantes que le moindre souffle chaud de ce beau gâchis de désert environnant les ferait s'effondrer ? Ah, c'est sûr, ceux qui ont vraiment du travail, qui se tuent à la tâche quotidiennement, qui suent du sang pour faire en sorte que l'organisation des bâtiments, des routes, des habitants soit aussi rodée et fluide que la course du soleil dans le ciel, ceux-là peuvent toujours espérer qu'on fasse appel à eux pour prendre les décisions importantes. On les convie chez les grands pour leur jeter un os d'importance à ronger, mais finalement, il ne s'agit que d'obéir aux ordres comme un vulgaire fantassin-démon ! Une Grande Migration ! La décision n'a pas du être trop difficile à prendre de leur point de vue. Le déplacement de millions de personnes n'était pas leur souci majeur, ne les concernaient pas vraiment... Abrutis va !

Finalement, les deux personnes les plus outrées par une telle annonce furent le couple d'artistes. En tant que seuls véritables lieux de divertissements, l'amphithéâtre des Sables d'Otrun et le musée des arts plastiques Divina avaient très fortement insisté pour participer à cette assemblée extraordinaire concernant les derniers évènements. Comme ils avaient eu raison !

Chacun des représentant artiste ne laissait aucun doute sur sa provenance. L'homme était affublé d'un accoutrement aussi bariolé que l'aurait été un champs de bataille entre une armée de tubes de gouache et un pilon géant. Sans être (trop) ridicule ni (trop) agressif oculairement parlant, ses vêtements exploraient une palette incroyablement large de couleurs. La femme quant à elle présentait plus classiquement, même si la surcharge de bijoux provoquait tintements et cliquetis au moindre de ses gestes. Elle tonitruait pis qu'un drakkar rempli de Vikings ivres. La colère donnait à ses paroles des harmoniques douloureuses pour les tympans non-entrainés. La baie vitrée de la salle ne faisait pas la fière.

On ne voit ni n'entend souvent les Artistes au sein des Tours. Ces deux-là rattrapaient le temps perdu...

- Il y en a ras-le-bol ! cria-t-il.
- Ce sont toujours les mêmes qu'on sacrifie ! vociféra-t-elle.
- Nous ne faisons peut-être pas partie des "grands" de ce monde, mais nous avons le droit d'être préservés quand il y a danger !
- Et qui s'occupera de...
- Suffit ! trancha l'une des Quatre Cerveaux. Le ton était si impératif qu'il rappela tous les esprits à l'ordre du jour.
- La Grande Migration n'est qu'une mesure de sécurité. Elle ne sera pas effective à 100%. Nous allons envoyer des personnes fraîchement formées à un endroit sûr, mais aucune n'aura à quitter Gesserit. Au contraire, nous allons avoir besoin du plus grand nombre. Voyez-vous, Delphes n'aurait pas du disparaître aussi subitement. Nous avons mis en place un grand nombre de passage secrets, routes secondaires peu fréquentées, réserves d'énergie de secours et autres systèmes de sécurité élaborés pour prévenir l'une ou l'autre cité d'un danger.
> Sachez qu'un convoi de réfugiés venant de Delphes est arrivé cette nuit par l'une de ces routes secrètes dont je viens de vous révéler l'existence. Il ne s'agit pas vraiment du protocole prévu, mais nous entendons cette arrivée comme le dernier soupir de Delphes. Aucune autre communication n'a pu être établie après cela. Le fait qu'aucune de nos alarmes n'ait été déclenchée nous fait craindre un acte de sabotage.
> C'est pour cette raison que ces rescapés ont été placés en quarantaine, avec interdiction formelle de parcourir le cité. Le fait qu'aucun d'eux ne parle un de nos langages connus m'oblige à prohiber toute activité non contrôlée les impliquant. Afin de percer le mystère, nous avons placé l'un d'entre eux entre les mains expertes du docteur Tronon. Il a pour charge de l'examiner de façon la plus superficielle possible. Aucun contact direct, aucune interaction d'aucune sorte. Toutes les précautions ont été prises pour éviter qu'une quelconque catastrophe ne s'abatte sur la Cité.

Et maintenant, si vous le désirez, nous allons nous rendre au laboratoire afin d'observer l'examen. Et qui sait ? Peut-être l'un d'entre vous remarquera un détail important passé inaperçu ou bien arrivera à comprendre quelques mots du rescapé en train d'être examiné ?"

Une invitation pareille en surprit un grand nombre dans l'assistance. Rares étaient les privilégiés pouvant accompagner les Cerveaux d'Elentil dans l'une de leurs activité. Recevoir et traiter leurs requêtes, ça n'était que le traitement habituel, mais être convié à l'une d'elle, presque comme un égal... Cela valait le déplacement à ce Conseil.

Tous se levèrent. Laissant passer les quatre hommes et femmes en costumes blancs, des discussions sérieuses naquirent parmi les représentants de la Cité. Le Seigneur Démon s'enquit auprès du Contremaître des mines s'il n'était pas possible de bricoler une dérivation dans le circuit de distribution d'énergie afin de s'en servir comme arme contre les envahisseurs, ce à quoi le Contremaître répondit que même si une telle entreprise venait à être mise en œuvre, il n'existait aucune technologie permettant d'user l'énergie des montagnes de manière offensive. Le Démon maugréa. Erat Then et le Cadastre étaient en pleine prise de bec, opposant ardemment les avantages et inconvénients du chaos et de l'instinct de la Nature d'une part et la rigueur et le déterminisme contrôlé de la Technologie d'autre part. Une défense organisée et hiérarchisée est primordiale ! L'instinct de survie sera toujours supérieur et créatif que n'importe quelle stratégie !... Aucun n'arrivait évidemment à convaincre l'autre. La possibilité d'une Grande Migration avait suscité beaucoup de crainte dans l'assistance, surtout chez les Artistes. Ces derniers énuméraient avec passion et nostalgie les différents groupes musicaux, écrivains, metteurs en scène, peintres et autres talentueux afin de lister ceux qui mériteraient d'être sauvés. Vainement.

Les quatre Cerveaux d'Elentil se dirigeaient d'un pas calme vers une grande double-porte coulissante. Elle s'ouvrit dans un chuchotement et donnait sur une cabine de ce qui pourrait passer pour un ascenseur vitré. Le sol était d'un gris métallique froid et brillant. La vue était splendide. Du haut de la plate-forme joignant les Tours où ils se trouvaient, les millions d'habitants de Gesserit paraissaient comme des pixels de couleurs sur l'écran illuminé des rues.

Les personnages en blanc se souciaient peu de la beauté de la neige irisée qui défilait sous leurs pieds, ni que des attaques répétées aux limites de la cité. Ils savaient que l'armée démoniaque les tiendrait en respect aussi longtemps que nécessaire. Et puis après tout, le monde extérieur avait toujours été hostile, il pouvait s'agir ici que d'une simple poussée d'adrénaline de la part des assaillants. Ce qui assombrissait leurs esprits était les robes noires des rescapés de Delphes. Leurs occupants pour être précis. Les Tours d'Elendil possédaient les ressources suffisantes pour pouvoir identifier n'importe quelle créature vivante, retrouver sa race parmi les immenses connaissances accumulées dans les riches bibliothèques. Personne n'a pu identifier la leur. La seule explication possible, à défaut d'être raisonnable, était soit qu'ils venaient d'une autre planète ou d'une autre dimension, soit qu'ils avaient été crées par magie, soit... autre chose.

Ce qui était certain cependant. Ce ne sont pas ses enfants que Delphes a envoyé dans ces chariots comme ultime message avant son annihilation.

Chacun prit place dans la cabine. Aussi doucement que possible, celle-ci se détacha de son support et flotta dans les airs vers une direction certainement programmée d'avance car personne n'indiqua de destination. Il n'y avait d'ailleurs aucune commande. Les habitants de la cité qui auraient levé les yeux auraient vu un spectacle assez singulier, même pour Gesserit. Une plaque de métal transportant onze personnes dans les airs, entourées d'un grand nombre d'oiseaux de toutes sortes et dont quatre auras blanches se chamaillaient la vedette avec un concentré de camaïeux multicolores et une sale luminescence vert-noir.

Ils avaient survolé plusieurs quartiers de la cité et ils entamèrent leur descente vers un grand bâtiment pas très haut mais étendu et d'aspect résolument scientifique : beaucoup de verre, une grande cour intérieure où fleurissaient arbres et gazouillaient cascades et oiseaux, des nombreuses blouses blanches étaient arborées partout, des cheminées crachaient des fumées aux consistances et couleurs étranges. Ils atterrirent juste en face de l'entrée, sur un chic parvis joliment fleuri où des laborantins profitaient du cadre pour faire une pause et se changer les idées. Le cortège descendit de la cabine, tous silencieux. Les représentants des Tours parce qu'ils n'avaient somme tout pas grand chose à dire, les autres parce qu'ils étaient trop concentrés pour ne pas perdre une miette de leur visite dans ce musée des curiosités usuellement réservé au personnel autorisé.
Une fois passées les hautes portes de plexiglas, ils déambulèrent dans bon nombre de couloirs, croisèrent divers corps de métier que la communauté scientifique de Gesserit pouvait offrir : mathématiciens, biologistes, physiciens, virologues, astronomes... chacun se livrant à de complexes calculs sur de grands tableaux lumineux multicolores ou manipulant tubes à essai et autres béchers contenant des fluides plus ou moins sympathiques...
Ils arrivèrent devant un lourd panneau d'acier. Sans faire quoi que ce soit, celui-ci coulissa vers le haut et offrit l'accès à une la salle truffée d'écrans et d'instruments de contrôles. Une baie transparente la séparait d'un laboratoire au milieu duquel se trouvait une cabine, elle aussi translucide. Dans cette cabine, on distinguait clairement un individu vêtu de le tête aux pieds de longues robes d'un noir si intense que l'on devinait plus les replis que l'on ne les distinguait. Un des rescapés.

Dans le laboratoire, le docteur Tronon, un homme de grande stature, chauve, d'âge mûr et avec une barbichette blanche. Il avait passé ses bras dans d'épais gants de caoutchouc scellés dans les parois de la cabine afin de pouvoir y faire des manipulations à l'intérieur tout en la maintenant totalement hermétique. Il avait relevé l'une des manches de la robe sombre du rescapé et tenait son poignet dans la main. Enfin... ce qui devait être un poignet. Les contours du bras étaient bizarrement flous et distordus. L'oeil avait du mal à distinguer la forme et les couleurs, comme lorsque l'on tente de faire le point sur cette image représentant simultanément un vase et deux visage humains face à face, ou encore quand on observe de la lumière ultraviolette. La taille du membre variait par endroit, ainsi que la teinte. La couleur de l'épiderme passait du rose bébé au vert malade. De même, par endroits, on avait l'impression de distinguer des écailles, du duvet, des plaques, sans aucune répartition précise ou biologiquement sensée.

De son autre main, le docteur tenait une seringue qu'il avait enfoncée dans cet improbable bras.
Dès que cette scène apparu aux yeux des Cerveaux, l'un d'entre eux se précipita dans la salle de contrôle aussi rapidement qu'une nuée ardente et fondit sur l'un des micros.

- Docteur Tronon ! Qu'est-ce que vous foutez ? tonitrua le Cerveau d'Elentil.
- Heu... vous voyez bien, j'effectue une analyse sanguine...
- AUCUN EXAMEN APPROFONDI AI-JE DIT !

Immédiatement, il appuya sur un gros bouton-poussoir rouge situé sur le mur à proximité. De massifs et impénétrables volets métalliques tombèrent lourdement pour isoler le laboratoire de la salle de contrôle. Un bourdonnement puissant fit trembler les entrailles des êtres vivants environnants tandis qu'une lumière douloureusement éblouissante filtrait à travers les quelques fentes des volets fermés. Un silence lourd de crainte s'ensuivit.
Un tout petit peu auparavant, quelques quartiers plus loin et plus résidentiels, dans une grande maison désagréablement sombre et calme, quelqu'un se réveilla d'un sommeil artificiel. L'individu fixa quelques instants le plafond bleuté à travers les grains de poussière qui flottaient dans l'air encore saturé de gaz soporifique. L'odeur était d'ailleurs entêtante et piquante à la fois, comme une grande bouffée d'air marin en hiver. Il dégagea sa capuche afin d'observer les autres. Des blocs de grès auraient paru plus animés. Il se leva dans un froissement de ses amples robes noires, qui parut comme un véritable vacarme dans le silence de tombeau du lieu, et se mit à avancer. Il déambula dans quelques couloirs poussiéreux, traversa deux chambres semblables à celle qu'il venait de quitter, toutes peuplées des mêmes silhouettes sombres endormies. Il descendit un escalier de bois branlant pour atteindre le rez-de-chaussée, lui aussi converti en dortoir / tombeau.
Toutes les fenêtres de la demeure avaient été condamnées pas d'épaisses planches solidement fixées au mur et qui n'avaient pas l'intention de quitter leur poste sans un combat acharné contre de gros outils. La lueur matinale filtrant entre les interstices était la seule source de lumière du lieu... à laquelle venaient se rajouter les clignotements rapides et colorés des caméras de sécurité dans l'entrée. De vraies petites merveilles de technologie. Ces yeux électroniques pouvaient capter le moindre mouvement, la plus infime source de chaleur, la plus discrète odeur étrangère, les activités électriques des êtres vivants et certaines catégories d'auras. Leur réglages avaient demandé beaucoup d'effort pour prendre en compte la "vie" inanimée de la maison et ne pas sonner l'alerte au moindre grain de poussière qui avait eu le malheur de se faire emporter par un courant d'air inopportun. Situées dans les coins de la maison au niveau du plafond, elles balayaient absolument toutes les surfaces possibles, chacune couvrant les angles morts de l'autre. Elles étaient configurées pour lancer le programme d'incinération du bâtiment si elles détectaient une quelconque activité autre que le coma provoqué par le gaz qui était diffusé sans relâche depuis l'arrivée des rescapés de Delphes dans ce lieu.
Le seul d'entre eux qui paraissait ne pas être transformé en statue de sel pose un pied sur la dernière marche de l'escalier, laquelle gémit, et finalement sur le plancher sur rez-de-chaussée. Il y avait un salon remplit de paillasses et partout où l'on pouvait caler relativement confortablement un être humanoïde, était allongée une forme noire et immobile. Par delà le salon se trouvait l'entrée dont la moindre parcelle était sous surveillance électronique et enfin, la seule ouverture sur le monde extérieur, sans porte, mais protégée par un champ de force puissant et imperméable à toute tentative d'intrusion.
Le rescapé avança, laissant des empreintes avec ses sandales dans la fine couche de poussière qui couvrait le plancher vermoulu. Il jeta un œil impassible aux caméras qui scrutaient la pièce à la recherche du moindre signe de vie. Il arriva dans l'entrée. L'odeur du gaz était plus intense ici, comme si l'on voulait que chacun arrivant soit immédiatement mis hors d'état de nuire et que les dernières forces d'un candidat à l'évasion soient anéantis par cet épais nuage chimique. Il toussota, sans doute à cause de toute cette poussière, et eut une pensée furtive pour les détecteurs phoniques cachés un peu partout, lesquels auraient pu entendre la course d'un nuage dans le ciel.
Il se tint devant la porte et regarda l'extérieur, la demeure de l'autre côté de la rue, les passants, l'imposant garde-démon posté là. Il ne ressemblait pas à son congénère qui gardait la route de la Cité qui avait vu arriver les Delphois. Celui-ci était beaucoup plus grand, près de trois mètres, son corps était recouvert d'une armure métallique hérissée d'épines acérées qui reflétait la lumière en motifs arrondis complexes comme l'aurait fait du mercure. À l'extrémité de ses deux paires de bras qui se rejoignaient au niveau des aisselles, ses doigts étaient des lames si tranchantes qu'elles ne déplaçaient pas d'air quand elles bougeaient : elles le découpaient.
Nullement intimidé par l'impressionnante silhouette du garde, le rescapé approcha sa main du champ de force qui protégeait la porte. La réaction qui s'y opposa aurait projeté un titan en arrière en l'assommant pour une longue durée. La manche noire et la main informe et floue qui la terminait ne fit que s'arrêter à la frontière entre l'intérieur de la demeure et le monde extérieur. L'individu ferma les yeux, prit une profonde inspiration et força. L'extrémité de ce que l'on pouvait prendre pour sa main s'avança de quelques centimètres supplémentaires, de plus en plus lentement, comme si le champ de force avait la consistance d'une toile de caoutchouc tendue à l'extrême.
Sans effort apparent, il insista encore. Sa main passa...
Et ne passa pas.
Dès l'instant où le bout de ses doigts ressentit l'air parfumé de l'extérieur, l'évadé s'immobilisa complètement. Sa main à lui n'avait pas franchi la paroi du champ de force. C'était celle d'un autre qui commençait à sortir. Une main tout ce qu'il y a de plus humaine, avec ses cinq doigts et sa peau rose et bronzée que le bras qui la suivait. Un corps émergea de la porte, mais celui qui se trouvait sur le pas ne bougeait pas. Une fois totalement "sorti", le nouvel individu se tint droit derrière le garde terrifiant qui n'avait pas bronché. Il était grand, de visage assez commun avec un début de calvitie. Ses vêtements étaient passe-partout : pantalon de velours marron, chemise noire délavée, veste en lin, chaussures beiges. Sa paire de lunettes noire et rectangulaire lui donnait un air d'intellectuel fragile.
Il se retourna pour faire face à son homologue en noir de l'autre côté de la frontière entre dehors et dedans. Celui-ci avait baissé son bras et sa manche recouvrait désormais son apparence discontinue. Ils se regardèrent froidement, sans amitié ni mépris, la visage aussi illuminé que s'ils observaient un mur de béton nu. Celui qui était à l'extérieur parla enfin, d'une voix presque joyeuse :
- Adieu mon clone. Si tout se passe bien, je ne te réintégrerai jamais.
Puis, il se tourna vers le dos du garde et sans la moindre hésitation, donna quelques petits coups sur son armure pour signaler sa présence, en prenant soin de ne pas s'empaler la main sur l'une des piques incroyablement pointues. Le démon se retourna vivement et braqua sur l'homme un regard qui aurait fait fuir Gengis Khan de terreur. Mais l'individu ne fut pas impressionné et déclara le plus simplement du monde :
- Inutile de m'attendre, je ne compte pas revenir.
Le garde continua de le fixer de son pénétrant regard aux reflets de rubis. Son visage métallique resta impassible et ses mâchoires dévoilèrent légèrement des crocs qui auraient pu trancher du diamant comme un couteau tranche une pomme. Mais il ne fit rien de plus. Sans être satisfait ni pour autant suspicieux, il repris sa position initiale en tournant le dos à la maison.
Ce fut tout. Les deux clones se séparèrent, l'un allant rejoindre sa paillasse en dépassant tous les équipements de détection ultrasophistiqués et désespérément muets, l'autre s'en alla se mêler à la foule sous le regard du démon qui avait une fois failli détruire les Tours d'Elentil à mains nues pour éliminer un renégat en fuite.