Bon, cette deuxième partie a été longue à venir, mais bon, hein, j'ai une vie. Certains apercevront peut-être le filigrane que j'y ai inséré. Ce que je publie là maintenant n'est qu'un brouillon. Je n'ai pas eu le temps de relire ou de corriger les fautes et maladresses, il ne faut donc pas m'en tenir rigueur. Je publie cette deuxième partie malgré tout car je compte faire ça d'ici peu, mais pas tout de suite non plus. C'est donc un os à ronger histoire que ceux qui attendaient cette suite puissent s'amuser à critiquer. Par contre, certains changements dans le scénario ont rendu obsolète le précédent titre et je n'en ai pas encore trouvé de nouveau qui me convienne...
Quelques nouvelles brèves et purement égocentriques : tout va bien, que ce soit côtés coeur, boulot, activités. Je pars le quatre septembre pour une semaine à Moscou retrouver ma belle et je reviens le 11.
L'atmosphère était anormalement tendue dans la salle du grand conseil. Non pas que les membres y participant frôlaient l'infarctus et humidifiaient l'air de leur transpiration, mais leur habituel flegme et relative froideur avait cédé leur place à un stress grandissant. L'agitation de la population démoniaque laissait rarement présager quelque chose de bon.
L'immense pièce carrée où se tenait cette assemblée était chichement meublée, mais moderne. Et extrêmement splendide. Le parquet soigneusement verni ne comportait aucune rayure, non plus que le buffet en bois ni que les quelques classeurs ingénieusement disposés pour faire cohabiter fonctionnel et esthétique. Les bâtisseurs des Tours qui œuvrèrent il y a de cela des éons avaient fait un boulot superbe. Rien ne vaut la satisfaction d'un travail bien fait. Telle était leur philosophie et, fallait-il bien l'avouer sans ironie aucune, leur salaire. Les Tours d'Elendil ne furent pas construites par des milliers d'esclaves, motivés par les fouets et mourant à la tâche, mais par des maçons, ouvriers et architectes tout ce qu'il y avait de plus volontaires et extrêmement désireux d'accomplir parfaitement leur métier. Cela s'en ressentait, les Tours ayant pu faire pâlir de jalousie la plus sphérique des perles.
Le bois clair de la grande table autour de laquelle s'étaient réunis les représentants de la cité de Gesserit reflétait avec force les rayons du soleil qui dardaient à travers la splendide baie vitrée, auréolant les costumes blancs des quatre Cerveaux des quatre Tours d'Elentil. Deux femmes, deux hommes, tous habillés de classieux vêtements d'un blanc pur, tous arborant une longue chevelure blanche qui flamboyait comme une rivière de vif-argent.
- Quelle genre d'attaque subissons-nous ? demanda l'une d'entre elles de sa voix aussi douce qu'une étoffe de soie.
- Rien d'insurmontable pour le moment, mais l'ennemi n'est foutrement pas con ! S'cusez M'dame... Mes gardes font face à des espions miniatures ou invisibles qui tentent de se mêler à la circulation habituelle des grandes artères, à des agents camouflés dont l'un aurait pénétré dans l'une de ces Tours s'il avait eu le bon laissez-passer. Y'en a même qui ont le culot de se faire passer pour des Delphois ! Y manquent pas d'air à nous prendre pour des bringues ces fils de putes ! Pardon M'dame... À l'heure actuelle, ils essaient une nouvelle stratégie : j'ai du renforcer certains postes de gardes sur des routes secondaires qui ont été prises d'assaut par une chiée de vagues d'infiltrateurs, mais il n'y a pas à s'en faire. Ces salauds s'écraseront sur mes troupes comme des saloperies de flèches sur cette putain de montagne de Fed ! Désolé M'dame.
Les démons ne sont pas particulièrement portés sur l'érudition ou l'étiquette. Le Seigneur Démon de Gesserit, étant leur supérieur, l'est encore moins. Mais s'il est une qualité sociale qu'il faut bien lui reconnaître, c'est son charisme. Malgré ses crocs pointus qui lui sortent de sa gueule nauséabonde si grands qu'ils manquaient de lui percer les joues, malgré ses larges ailes mi-chauve-souris mi-dragon hérissées de piques aux articulations, malgré ses yeux rouges qui semblaient vouloir une mort affreuse au premier être vivant croisant leurs feux, l'optimisme qui rayonnait de ses dernières paroles rassura les membres du conseil.
Les quatre cerveaux restèrent soucieux malgré tout.
- Bien, commença le masculin de gauche.
Au même instant, un tube sortit du sol entre lui et sa voisine, monta jusqu'à atteindre la hauteur de la table, se recourba vers cette dernière et s'immobilisa. Un déclic, puis une coupelle se détacha de l'embout et sa balança très doucement au bout de trois petits câbles de cuivre souples. Un rouleau de papier y atterrit peu après, lequel fut saisi par la collègue (sœur ?) de celui qui prenait la parole.
- Bien, disais-je, reprit-il tandis qu'elle reposait le papier après l'avoir rapidement lu et se prenait la tête dans les mains pour se livrer à ce qui paraissait d'horriblement complexes calculs mentaux. Je pense que nous pouvons vous faire confiance Seigneur Démon. D'autant plus que nous vous avons octroyé un grand nombre de main d'œuvre ainsi qu'un plus libre accès aux Tours et à leur puissance.
Désormais, je souhaiterais aborder l'origine de cette offensive. Vous n'êtes pas sans savoir qu'elle a débuté en même temps que la disparition de Delphes. Peut-être ne s'agit-il là que d'une coïncidence, après tout la probabilité n'est pas nulle, mais pour des raisons de sécurité évidentes, nous avons décidé, mes collègues et moi-même, de préparer une Grande Migration.
Les réactions face à cette décision furent diverses. Le démon n'en eut aucune. Il continuait à se balancer sur sa chaise, s'équilibrant de ses musculeuses jambes reptiliennes et de très légers mouvements des ses ailes repliées. Ses yeux de fournaises fixaient le sol et l'immobilité de son aura vert sale laissaient à supposer qu'il méditait intensément sur des stratégies défensives ou bien communiquait avec l'un de ses lieutenant, voire les deux.
À sa droite, un homme brun et ténébreux qui semblait ridiculement petit en comparaison, mais qui ne l'était pas tant que ça en réalité, se tenait également silencieux, non pas à cause de la concentration. Il s'ennuyait à mourir. Qu'est-ce que le représentant de la Guilde des Communications pouvait bien apporter à un tel débat ? Le fonctionnement propre de la cité ne faisait pas partie de ses activités. Cette dernière consistait à entretenir et mettre à jour le réseau fort complexe et disparate de communication inter et intra cité.
Sur l'épaule droite de la veste marron qu'il portait se tenait un magnifique oiseau bleu électrique. Autour de son cou s'était lové un serpent au dos vert et au ventre jaune, qui humait l'air pacifiquement de sa langue fourchue. Sur ses cuisses, un chat angora faisait la sieste, ronronnant légèrement au rythme des douces caresses qui lui prodiguait son maître. Delphes s'était fourvoyée en faisant confiance aux machines pour ses communications. Chères, peu fiables, longues à construire et les quelques unes qui pouvaient se passer d'opérateur ou de conducteur étaient bien trop précieuses pour être envoyées à des tâches risquées. Quelles - mauvaises - raisons pouvait avoir la Guilde de Delphes pour préférer la mécanique à la biologie ? L'ingénierie au dressage ? L'intelligence à l'instinct ? Tout en s'enlisant dans ses rancunes, Eret Tenh donna télépathiquement à un beau renard à la fourrure flamboyante l'ordre d'aller porter une requête à l'une des mégalopoles par delà l'horizon.
Au même instant, celle des Cerveaux qui s'était écartée de la conversation pour se concentrer sur le contenu du rouleau de papier s'en saisit, y griffonna quelques symboles et le déposa dans la soucoupe d'origine. Le tube s'en alla comme il était venu avec le silence et l'élégance d'une griffe de puma.
De l'autre côté de la table était assise une personne qui ignorait tout ou presque du fonctionnement interne de la cite, mais sans qui celle-ci cesserait toute activité immédiatement. Le Contremaître des Sous-sols de la cité était un homme large et costaud, portant une barbe noire de bûcheron et passait pour extrêmement sympathique, du moins en dehors du travail. Ce dernier consistait à superviser l'extraction et la distribution de l'énergie des montagnes de Fed au reste de la cité. Transports, communications, divertissements, bibliothèques... tous comptaient sur lui pour être approvisionnés à la demande et ainsi ne pas sombrer dans une inactivité mortelle. Les Tours d'Elendil elles-mêmes perdraient leur puissance souveraine sur Gesserit si les mines de Fed venaient à s'épuiser.
Le Contremaître n'était pas spécialement impressionné ni affecté par l'importance de son poste. Certes, il avait maints ouvriers, extracteurs, régulateurs et autres sous ses ordres afin de veiller au grain en cas d'absence ou de disparition, mais la délicatesse du réseau de distribution nécessitait un calme, une connaissance et une autorité que nul autre ne possédait encore dans son équipe. Tout donneur d'ordres qu'il était, son humilité le faisait compatir avec ses semblables avec qui la nouvelle de la Migration passait moins bien.
À ses côtés était assis le Cadastre, une belle femme à la tenue stricte et au visage sévère. Elle avait une taille et des proportions parfaites, qu'elle promenait d'une démarche raide quasi-militaire, une chevelure dorée de rêve, qu'elle compressait en arrière en un chignon serré à tel point qu'on pouvait croire qu'elle ne pouvait plus froncer des sourcils. des lèvres incroyablement sensuelles, qu'elle maintenait closes en un mince filet de maquillage rouge. Elle prenait des notes depuis le début de la réunion, sans avoir levé les yeux une seule fois, noircissant son petit calepin de cuir d'une écriture élégante et chic comme ne robe de mariée. Elle braque grâce à son émeraude et son saphir un regard vairon aussi tranchant et sévère qu'une guillotine pour enfant sur les quatre costumes blancs.
Pour qui se prenaient donc ces quatre énergumènes ? Sous prétexte qu'il ont toute la puissance nécessaire, eux et leur quatre tours situées stupidement à une distance respectable du vrai cœur de la cité. À quoi seraient-ils réduits si les chers habitants étaient mal logés, entassés au-delà du raisonnable dans des baraques tellement branlantes que le moindre souffle chaud de ce beau gâchis de désert environnant les ferait s'effondrer ? Ah, c'est sûr, ceux qui ont vraiment du travail, qui se tuent à la tâche quotidiennement, qui suent du sang pour faire en sorte que l'organisation des bâtiments, des routes, des habitants soit aussi rodée et fluide que la course du soleil dans le ciel, ceux-là peuvent toujours espérer qu'on fasse appel à eux pour prendre les décisions importantes. On les convie chez les grands pour leur jeter un os d'importance à ronger, mais finalement, il ne s'agit que d'obéir aux ordres comme un vulgaire fantassin-démon ! Une Grande Migration ! La décision n'a pas du être trop difficile à prendre de leur point de vue. Le déplacement de millions de personnes n'était pas leur souci majeur, ne les concernaient pas vraiment... Abrutis va !
Finalement, les deux personnes les plus outrées par une telle annonce furent le couple d'artistes. En tant que seuls véritables lieux de divertissements, l'amphithéâtre des Sables d'Otrun et le musée des arts plastiques Divina avaient très fortement insisté pour participer à cette assemblée extraordinaire concernant les derniers évènements. Comme ils avaient eu raison !
Chacun des représentant artiste ne laissait aucun doute sur sa provenance. L'homme était affublé d'un accoutrement aussi bariolé que l'aurait été un champs de bataille entre une armée de tubes de gouache et un pilon géant. Sans être (trop) ridicule ni (trop) agressif oculairement parlant, ses vêtements exploraient une palette incroyablement large de couleurs. La femme quant à elle présentait plus classiquement, même si la surcharge de bijoux provoquait tintements et cliquetis au moindre de ses gestes. Elle tonitruait pis qu'un drakkar rempli de Vikings ivres. La colère donnait à ses paroles des harmoniques douloureuses pour les tympans non-entrainés. La baie vitrée de la salle ne faisait pas la fière.
On ne voit ni n'entend souvent les Artistes au sein des Tours. Ces deux-là rattrapaient le temps perdu...
- Il y en a ras-le-bol ! cria-t-il.
- Ce sont toujours les mêmes qu'on sacrifie ! vociféra-t-elle.
- Nous ne faisons peut-être pas partie des "grands" de ce monde, mais nous avons le droit d'être préservés quand il y a danger !
- Et qui s'occupera de...
- Suffit ! trancha l'une des Quatre Cerveaux. Le ton était si impératif qu'il rappela tous les esprits à l'ordre du jour.
- La Grande Migration n'est qu'une mesure de sécurité. Elle ne sera pas effective à 100%. Nous allons envoyer des personnes fraîchement formées à un endroit sûr, mais aucune n'aura à quitter Gesserit. Au contraire, nous allons avoir besoin du plus grand nombre. Voyez-vous, Delphes n'aurait pas du disparaître aussi subitement. Nous avons mis en place un grand nombre de passage secrets, routes secondaires peu fréquentées, réserves d'énergie de secours et autres systèmes de sécurité élaborés pour prévenir l'une ou l'autre cité d'un danger.
> Sachez qu'un convoi de réfugiés venant de Delphes est arrivé cette nuit par l'une de ces routes secrètes dont je viens de vous révéler l'existence. Il ne s'agit pas vraiment du protocole prévu, mais nous entendons cette arrivée comme le dernier soupir de Delphes. Aucune autre communication n'a pu être établie après cela. Le fait qu'aucune de nos alarmes n'ait été déclenchée nous fait craindre un acte de sabotage.
> C'est pour cette raison que ces rescapés ont été placés en quarantaine, avec interdiction formelle de parcourir le cité. Le fait qu'aucun d'eux ne parle un de nos langages connus m'oblige à prohiber toute activité non contrôlée les impliquant. Afin de percer le mystère, nous avons placé l'un d'entre eux entre les mains expertes du docteur Tronon. Il a pour charge de l'examiner de façon la plus superficielle possible. Aucun contact direct, aucune interaction d'aucune sorte. Toutes les précautions ont été prises pour éviter qu'une quelconque catastrophe ne s'abatte sur la Cité.
Et maintenant, si vous le désirez, nous allons nous rendre au laboratoire afin d'observer l'examen. Et qui sait ? Peut-être l'un d'entre vous remarquera un détail important passé inaperçu ou bien arrivera à comprendre quelques mots du rescapé en train d'être examiné ?"
Une invitation pareille en surprit un grand nombre dans l'assistance. Rares étaient les privilégiés pouvant accompagner les Cerveaux d'Elentil dans l'une de leurs activité. Recevoir et traiter leurs requêtes, ça n'était que le traitement habituel, mais être convié à l'une d'elle, presque comme un égal... Cela valait le déplacement à ce Conseil.
Tous se levèrent. Laissant passer les quatre hommes et femmes en costumes blancs, des discussions sérieuses naquirent parmi les représentants de la Cité. Le Seigneur Démon s'enquit auprès du Contremaître des mines s'il n'était pas possible de bricoler une dérivation dans le circuit de distribution d'énergie afin de s'en servir comme arme contre les envahisseurs, ce à quoi le Contremaître répondit que même si une telle entreprise venait à être mise en œuvre, il n'existait aucune technologie permettant d'user l'énergie des montagnes de manière offensive. Le Démon maugréa. Erat Then et le Cadastre étaient en pleine prise de bec, opposant ardemment les avantages et inconvénients du chaos et de l'instinct de la Nature d'une part et la rigueur et le déterminisme contrôlé de la Technologie d'autre part. Une défense organisée et hiérarchisée est primordiale ! L'instinct de survie sera toujours supérieur et créatif que n'importe quelle stratégie !... Aucun n'arrivait évidemment à convaincre l'autre. La possibilité d'une Grande Migration avait suscité beaucoup de crainte dans l'assistance, surtout chez les Artistes. Ces derniers énuméraient avec passion et nostalgie les différents groupes musicaux, écrivains, metteurs en scène, peintres et autres talentueux afin de lister ceux qui mériteraient d'être sauvés. Vainement.
Les quatre Cerveaux d'Elentil se dirigeaient d'un pas calme vers une grande double-porte coulissante. Elle s'ouvrit dans un chuchotement et donnait sur une cabine de ce qui pourrait passer pour un ascenseur vitré. Le sol était d'un gris métallique froid et brillant. La vue était splendide. Du haut de la plate-forme joignant les Tours où ils se trouvaient, les millions d'habitants de Gesserit paraissaient comme des pixels de couleurs sur l'écran illuminé des rues.
Les personnages en blanc se souciaient peu de la beauté de la neige irisée qui défilait sous leurs pieds, ni que des attaques répétées aux limites de la cité. Ils savaient que l'armée démoniaque les tiendrait en respect aussi longtemps que nécessaire. Et puis après tout, le monde extérieur avait toujours été hostile, il pouvait s'agir ici que d'une simple poussée d'adrénaline de la part des assaillants. Ce qui assombrissait leurs esprits était les robes noires des rescapés de Delphes. Leurs occupants pour être précis. Les Tours d'Elendil possédaient les ressources suffisantes pour pouvoir identifier n'importe quelle créature vivante, retrouver sa race parmi les immenses connaissances accumulées dans les riches bibliothèques. Personne n'a pu identifier la leur. La seule explication possible, à défaut d'être raisonnable, était soit qu'ils venaient d'une autre planète ou d'une autre dimension, soit qu'ils avaient été crées par magie, soit... autre chose.
Ce qui était certain cependant. Ce ne sont pas ses enfants que Delphes a envoyé dans ces chariots comme ultime message avant son annihilation.
Chacun prit place dans la cabine. Aussi doucement que possible, celle-ci se détacha de son support et flotta dans les airs vers une direction certainement programmée d'avance car personne n'indiqua de destination. Il n'y avait d'ailleurs aucune commande. Les habitants de la cité qui auraient levé les yeux auraient vu un spectacle assez singulier, même pour Gesserit. Une plaque de métal transportant onze personnes dans les airs, entourées d'un grand nombre d'oiseaux de toutes sortes et dont quatre auras blanches se chamaillaient la vedette avec un concentré de camaïeux multicolores et une sale luminescence vert-noir.
Ils avaient survolé plusieurs quartiers de la cité et ils entamèrent leur descente vers un grand bâtiment pas très haut mais étendu et d'aspect résolument scientifique : beaucoup de verre, une grande cour intérieure où fleurissaient arbres et gazouillaient cascades et oiseaux, des nombreuses blouses blanches étaient arborées partout, des cheminées crachaient des fumées aux consistances et couleurs étranges. Ils atterrirent juste en face de l'entrée, sur un chic parvis joliment fleuri où des laborantins profitaient du cadre pour faire une pause et se changer les idées. Le cortège descendit de la cabine, tous silencieux. Les représentants des Tours parce qu'ils n'avaient somme tout pas grand chose à dire, les autres parce qu'ils étaient trop concentrés pour ne pas perdre une miette de leur visite dans ce musée des curiosités usuellement réservé au personnel autorisé.
Une fois passées les hautes portes de plexiglas, ils déambulèrent dans bon nombre de couloirs, croisèrent divers corps de métier que la communauté scientifique de Gesserit pouvait offrir : mathématiciens, biologistes, physiciens, virologues, astronomes... chacun se livrant à de complexes calculs sur de grands tableaux lumineux multicolores ou manipulant tubes à essai et autres béchers contenant des fluides plus ou moins sympathiques...
Ils arrivèrent devant un lourd panneau d'acier. Sans faire quoi que ce soit, celui-ci coulissa vers le haut et offrit l'accès à une la salle truffée d'écrans et d'instruments de contrôles. Une baie transparente la séparait d'un laboratoire au milieu duquel se trouvait une cabine, elle aussi translucide. Dans cette cabine, on distinguait clairement un individu vêtu de le tête aux pieds de longues robes d'un noir si intense que l'on devinait plus les replis que l'on ne les distinguait. Un des rescapés.
Dans le laboratoire, le docteur Tronon, un homme de grande stature, chauve, d'âge mûr et avec une barbichette blanche. Il avait passé ses bras dans d'épais gants de caoutchouc scellés dans les parois de la cabine afin de pouvoir y faire des manipulations à l'intérieur tout en la maintenant totalement hermétique. Il avait relevé l'une des manches de la robe sombre du rescapé et tenait son poignet dans la main. Enfin... ce qui devait être un poignet. Les contours du bras étaient bizarrement flous et distordus. L'oeil avait du mal à distinguer la forme et les couleurs, comme lorsque l'on tente de faire le point sur cette image représentant simultanément un vase et deux visage humains face à face, ou encore quand on observe de la lumière ultraviolette. La taille du membre variait par endroit, ainsi que la teinte. La couleur de l'épiderme passait du rose bébé au vert malade. De même, par endroits, on avait l'impression de distinguer des écailles, du duvet, des plaques, sans aucune répartition précise ou biologiquement sensée.
De son autre main, le docteur tenait une seringue qu'il avait enfoncée dans cet improbable bras.
Dès que cette scène apparu aux yeux des Cerveaux, l'un d'entre eux se précipita dans la salle de contrôle aussi rapidement qu'une nuée ardente et fondit sur l'un des micros.
- Docteur Tronon ! Qu'est-ce que vous foutez ? tonitrua le Cerveau d'Elentil.
- Heu... vous voyez bien, j'effectue une analyse sanguine...
- AUCUN EXAMEN APPROFONDI AI-JE DIT !
Immédiatement, il appuya sur un gros bouton-poussoir rouge situé sur le mur à proximité. De massifs et impénétrables volets métalliques tombèrent lourdement pour isoler le laboratoire de la salle de contrôle. Un bourdonnement puissant fit trembler les entrailles des êtres vivants environnants tandis qu'une lumière douloureusement éblouissante filtrait à travers les quelques fentes des volets fermés. Un silence lourd de crainte s'ensuivit.
Un tout petit peu auparavant, quelques quartiers plus loin et plus résidentiels, dans une grande maison désagréablement sombre et calme, quelqu'un se réveilla d'un sommeil artificiel. L'individu fixa quelques instants le plafond bleuté à travers les grains de poussière qui flottaient dans l'air encore saturé de gaz soporifique. L'odeur était d'ailleurs entêtante et piquante à la fois, comme une grande bouffée d'air marin en hiver. Il dégagea sa capuche afin d'observer les autres. Des blocs de grès auraient paru plus animés. Il se leva dans un froissement de ses amples robes noires, qui parut comme un véritable vacarme dans le silence de tombeau du lieu, et se mit à avancer. Il déambula dans quelques couloirs poussiéreux, traversa deux chambres semblables à celle qu'il venait de quitter, toutes peuplées des mêmes silhouettes sombres endormies. Il descendit un escalier de bois branlant pour atteindre le rez-de-chaussée, lui aussi converti en dortoir / tombeau.
Toutes les fenêtres de la demeure avaient été condamnées pas d'épaisses planches solidement fixées au mur et qui n'avaient pas l'intention de quitter leur poste sans un combat acharné contre de gros outils. La lueur matinale filtrant entre les interstices était la seule source de lumière du lieu... à laquelle venaient se rajouter les clignotements rapides et colorés des caméras de sécurité dans l'entrée. De vraies petites merveilles de technologie. Ces yeux électroniques pouvaient capter le moindre mouvement, la plus infime source de chaleur, la plus discrète odeur étrangère, les activités électriques des êtres vivants et certaines catégories d'auras. Leur réglages avaient demandé beaucoup d'effort pour prendre en compte la "vie" inanimée de la maison et ne pas sonner l'alerte au moindre grain de poussière qui avait eu le malheur de se faire emporter par un courant d'air inopportun. Situées dans les coins de la maison au niveau du plafond, elles balayaient absolument toutes les surfaces possibles, chacune couvrant les angles morts de l'autre. Elles étaient configurées pour lancer le programme d'incinération du bâtiment si elles détectaient une quelconque activité autre que le coma provoqué par le gaz qui était diffusé sans relâche depuis l'arrivée des rescapés de Delphes dans ce lieu.
Le seul d'entre eux qui paraissait ne pas être transformé en statue de sel pose un pied sur la dernière marche de l'escalier, laquelle gémit, et finalement sur le plancher sur rez-de-chaussée. Il y avait un salon remplit de paillasses et partout où l'on pouvait caler relativement confortablement un être humanoïde, était allongée une forme noire et immobile. Par delà le salon se trouvait l'entrée dont la moindre parcelle était sous surveillance électronique et enfin, la seule ouverture sur le monde extérieur, sans porte, mais protégée par un champ de force puissant et imperméable à toute tentative d'intrusion.
Le rescapé avança, laissant des empreintes avec ses sandales dans la fine couche de poussière qui couvrait le plancher vermoulu. Il jeta un œil impassible aux caméras qui scrutaient la pièce à la recherche du moindre signe de vie. Il arriva dans l'entrée. L'odeur du gaz était plus intense ici, comme si l'on voulait que chacun arrivant soit immédiatement mis hors d'état de nuire et que les dernières forces d'un candidat à l'évasion soient anéantis par cet épais nuage chimique. Il toussota, sans doute à cause de toute cette poussière, et eut une pensée furtive pour les détecteurs phoniques cachés un peu partout, lesquels auraient pu entendre la course d'un nuage dans le ciel.
Il se tint devant la porte et regarda l'extérieur, la demeure de l'autre côté de la rue, les passants, l'imposant garde-démon posté là. Il ne ressemblait pas à son congénère qui gardait la route de la Cité qui avait vu arriver les Delphois. Celui-ci était beaucoup plus grand, près de trois mètres, son corps était recouvert d'une armure métallique hérissée d'épines acérées qui reflétait la lumière en motifs arrondis complexes comme l'aurait fait du mercure. À l'extrémité de ses deux paires de bras qui se rejoignaient au niveau des aisselles, ses doigts étaient des lames si tranchantes qu'elles ne déplaçaient pas d'air quand elles bougeaient : elles le découpaient.
Nullement intimidé par l'impressionnante silhouette du garde, le rescapé approcha sa main du champ de force qui protégeait la porte. La réaction qui s'y opposa aurait projeté un titan en arrière en l'assommant pour une longue durée. La manche noire et la main informe et floue qui la terminait ne fit que s'arrêter à la frontière entre l'intérieur de la demeure et le monde extérieur. L'individu ferma les yeux, prit une profonde inspiration et força. L'extrémité de ce que l'on pouvait prendre pour sa main s'avança de quelques centimètres supplémentaires, de plus en plus lentement, comme si le champ de force avait la consistance d'une toile de caoutchouc tendue à l'extrême.
Sans effort apparent, il insista encore. Sa main passa...
Et ne passa pas.
Dès l'instant où le bout de ses doigts ressentit l'air parfumé de l'extérieur, l'évadé s'immobilisa complètement. Sa main à lui n'avait pas franchi la paroi du champ de force. C'était celle d'un autre qui commençait à sortir. Une main tout ce qu'il y a de plus humaine, avec ses cinq doigts et sa peau rose et bronzée que le bras qui la suivait. Un corps émergea de la porte, mais celui qui se trouvait sur le pas ne bougeait pas. Une fois totalement "sorti", le nouvel individu se tint droit derrière le garde terrifiant qui n'avait pas bronché. Il était grand, de visage assez commun avec un début de calvitie. Ses vêtements étaient passe-partout : pantalon de velours marron, chemise noire délavée, veste en lin, chaussures beiges. Sa paire de lunettes noire et rectangulaire lui donnait un air d'intellectuel fragile.
Il se retourna pour faire face à son homologue en noir de l'autre côté de la frontière entre dehors et dedans. Celui-ci avait baissé son bras et sa manche recouvrait désormais son apparence discontinue. Ils se regardèrent froidement, sans amitié ni mépris, la visage aussi illuminé que s'ils observaient un mur de béton nu. Celui qui était à l'extérieur parla enfin, d'une voix presque joyeuse :
- Adieu mon clone. Si tout se passe bien, je ne te réintégrerai jamais.
Puis, il se tourna vers le dos du garde et sans la moindre hésitation, donna quelques petits coups sur son armure pour signaler sa présence, en prenant soin de ne pas s'empaler la main sur l'une des piques incroyablement pointues. Le démon se retourna vivement et braqua sur l'homme un regard qui aurait fait fuir Gengis Khan de terreur. Mais l'individu ne fut pas impressionné et déclara le plus simplement du monde :
- Inutile de m'attendre, je ne compte pas revenir.
Le garde continua de le fixer de son pénétrant regard aux reflets de rubis. Son visage métallique resta impassible et ses mâchoires dévoilèrent légèrement des crocs qui auraient pu trancher du diamant comme un couteau tranche une pomme. Mais il ne fit rien de plus. Sans être satisfait ni pour autant suspicieux, il repris sa position initiale en tournant le dos à la maison.
Ce fut tout. Les deux clones se séparèrent, l'un allant rejoindre sa paillasse en dépassant tous les équipements de détection ultrasophistiqués et désespérément muets, l'autre s'en alla se mêler à la foule sous le regard du démon qui avait une fois failli détruire les Tours d'Elentil à mains nues pour éliminer un renégat en fuite.
Quelques nouvelles brèves et purement égocentriques : tout va bien, que ce soit côtés coeur, boulot, activités. Je pars le quatre septembre pour une semaine à Moscou retrouver ma belle et je reviens le 11.
L'atmosphère était anormalement tendue dans la salle du grand conseil. Non pas que les membres y participant frôlaient l'infarctus et humidifiaient l'air de leur transpiration, mais leur habituel flegme et relative froideur avait cédé leur place à un stress grandissant. L'agitation de la population démoniaque laissait rarement présager quelque chose de bon.
L'immense pièce carrée où se tenait cette assemblée était chichement meublée, mais moderne. Et extrêmement splendide. Le parquet soigneusement verni ne comportait aucune rayure, non plus que le buffet en bois ni que les quelques classeurs ingénieusement disposés pour faire cohabiter fonctionnel et esthétique. Les bâtisseurs des Tours qui œuvrèrent il y a de cela des éons avaient fait un boulot superbe. Rien ne vaut la satisfaction d'un travail bien fait. Telle était leur philosophie et, fallait-il bien l'avouer sans ironie aucune, leur salaire. Les Tours d'Elendil ne furent pas construites par des milliers d'esclaves, motivés par les fouets et mourant à la tâche, mais par des maçons, ouvriers et architectes tout ce qu'il y avait de plus volontaires et extrêmement désireux d'accomplir parfaitement leur métier. Cela s'en ressentait, les Tours ayant pu faire pâlir de jalousie la plus sphérique des perles.
Le bois clair de la grande table autour de laquelle s'étaient réunis les représentants de la cité de Gesserit reflétait avec force les rayons du soleil qui dardaient à travers la splendide baie vitrée, auréolant les costumes blancs des quatre Cerveaux des quatre Tours d'Elentil. Deux femmes, deux hommes, tous habillés de classieux vêtements d'un blanc pur, tous arborant une longue chevelure blanche qui flamboyait comme une rivière de vif-argent.
- Quelle genre d'attaque subissons-nous ? demanda l'une d'entre elles de sa voix aussi douce qu'une étoffe de soie.
- Rien d'insurmontable pour le moment, mais l'ennemi n'est foutrement pas con ! S'cusez M'dame... Mes gardes font face à des espions miniatures ou invisibles qui tentent de se mêler à la circulation habituelle des grandes artères, à des agents camouflés dont l'un aurait pénétré dans l'une de ces Tours s'il avait eu le bon laissez-passer. Y'en a même qui ont le culot de se faire passer pour des Delphois ! Y manquent pas d'air à nous prendre pour des bringues ces fils de putes ! Pardon M'dame... À l'heure actuelle, ils essaient une nouvelle stratégie : j'ai du renforcer certains postes de gardes sur des routes secondaires qui ont été prises d'assaut par une chiée de vagues d'infiltrateurs, mais il n'y a pas à s'en faire. Ces salauds s'écraseront sur mes troupes comme des saloperies de flèches sur cette putain de montagne de Fed ! Désolé M'dame.
Les démons ne sont pas particulièrement portés sur l'érudition ou l'étiquette. Le Seigneur Démon de Gesserit, étant leur supérieur, l'est encore moins. Mais s'il est une qualité sociale qu'il faut bien lui reconnaître, c'est son charisme. Malgré ses crocs pointus qui lui sortent de sa gueule nauséabonde si grands qu'ils manquaient de lui percer les joues, malgré ses larges ailes mi-chauve-souris mi-dragon hérissées de piques aux articulations, malgré ses yeux rouges qui semblaient vouloir une mort affreuse au premier être vivant croisant leurs feux, l'optimisme qui rayonnait de ses dernières paroles rassura les membres du conseil.
Les quatre cerveaux restèrent soucieux malgré tout.
- Bien, commença le masculin de gauche.
Au même instant, un tube sortit du sol entre lui et sa voisine, monta jusqu'à atteindre la hauteur de la table, se recourba vers cette dernière et s'immobilisa. Un déclic, puis une coupelle se détacha de l'embout et sa balança très doucement au bout de trois petits câbles de cuivre souples. Un rouleau de papier y atterrit peu après, lequel fut saisi par la collègue (sœur ?) de celui qui prenait la parole.
- Bien, disais-je, reprit-il tandis qu'elle reposait le papier après l'avoir rapidement lu et se prenait la tête dans les mains pour se livrer à ce qui paraissait d'horriblement complexes calculs mentaux. Je pense que nous pouvons vous faire confiance Seigneur Démon. D'autant plus que nous vous avons octroyé un grand nombre de main d'œuvre ainsi qu'un plus libre accès aux Tours et à leur puissance.
Désormais, je souhaiterais aborder l'origine de cette offensive. Vous n'êtes pas sans savoir qu'elle a débuté en même temps que la disparition de Delphes. Peut-être ne s'agit-il là que d'une coïncidence, après tout la probabilité n'est pas nulle, mais pour des raisons de sécurité évidentes, nous avons décidé, mes collègues et moi-même, de préparer une Grande Migration.
Les réactions face à cette décision furent diverses. Le démon n'en eut aucune. Il continuait à se balancer sur sa chaise, s'équilibrant de ses musculeuses jambes reptiliennes et de très légers mouvements des ses ailes repliées. Ses yeux de fournaises fixaient le sol et l'immobilité de son aura vert sale laissaient à supposer qu'il méditait intensément sur des stratégies défensives ou bien communiquait avec l'un de ses lieutenant, voire les deux.
À sa droite, un homme brun et ténébreux qui semblait ridiculement petit en comparaison, mais qui ne l'était pas tant que ça en réalité, se tenait également silencieux, non pas à cause de la concentration. Il s'ennuyait à mourir. Qu'est-ce que le représentant de la Guilde des Communications pouvait bien apporter à un tel débat ? Le fonctionnement propre de la cité ne faisait pas partie de ses activités. Cette dernière consistait à entretenir et mettre à jour le réseau fort complexe et disparate de communication inter et intra cité.
Sur l'épaule droite de la veste marron qu'il portait se tenait un magnifique oiseau bleu électrique. Autour de son cou s'était lové un serpent au dos vert et au ventre jaune, qui humait l'air pacifiquement de sa langue fourchue. Sur ses cuisses, un chat angora faisait la sieste, ronronnant légèrement au rythme des douces caresses qui lui prodiguait son maître. Delphes s'était fourvoyée en faisant confiance aux machines pour ses communications. Chères, peu fiables, longues à construire et les quelques unes qui pouvaient se passer d'opérateur ou de conducteur étaient bien trop précieuses pour être envoyées à des tâches risquées. Quelles - mauvaises - raisons pouvait avoir la Guilde de Delphes pour préférer la mécanique à la biologie ? L'ingénierie au dressage ? L'intelligence à l'instinct ? Tout en s'enlisant dans ses rancunes, Eret Tenh donna télépathiquement à un beau renard à la fourrure flamboyante l'ordre d'aller porter une requête à l'une des mégalopoles par delà l'horizon.
Au même instant, celle des Cerveaux qui s'était écartée de la conversation pour se concentrer sur le contenu du rouleau de papier s'en saisit, y griffonna quelques symboles et le déposa dans la soucoupe d'origine. Le tube s'en alla comme il était venu avec le silence et l'élégance d'une griffe de puma.
De l'autre côté de la table était assise une personne qui ignorait tout ou presque du fonctionnement interne de la cite, mais sans qui celle-ci cesserait toute activité immédiatement. Le Contremaître des Sous-sols de la cité était un homme large et costaud, portant une barbe noire de bûcheron et passait pour extrêmement sympathique, du moins en dehors du travail. Ce dernier consistait à superviser l'extraction et la distribution de l'énergie des montagnes de Fed au reste de la cité. Transports, communications, divertissements, bibliothèques... tous comptaient sur lui pour être approvisionnés à la demande et ainsi ne pas sombrer dans une inactivité mortelle. Les Tours d'Elendil elles-mêmes perdraient leur puissance souveraine sur Gesserit si les mines de Fed venaient à s'épuiser.
Le Contremaître n'était pas spécialement impressionné ni affecté par l'importance de son poste. Certes, il avait maints ouvriers, extracteurs, régulateurs et autres sous ses ordres afin de veiller au grain en cas d'absence ou de disparition, mais la délicatesse du réseau de distribution nécessitait un calme, une connaissance et une autorité que nul autre ne possédait encore dans son équipe. Tout donneur d'ordres qu'il était, son humilité le faisait compatir avec ses semblables avec qui la nouvelle de la Migration passait moins bien.
À ses côtés était assis le Cadastre, une belle femme à la tenue stricte et au visage sévère. Elle avait une taille et des proportions parfaites, qu'elle promenait d'une démarche raide quasi-militaire, une chevelure dorée de rêve, qu'elle compressait en arrière en un chignon serré à tel point qu'on pouvait croire qu'elle ne pouvait plus froncer des sourcils. des lèvres incroyablement sensuelles, qu'elle maintenait closes en un mince filet de maquillage rouge. Elle prenait des notes depuis le début de la réunion, sans avoir levé les yeux une seule fois, noircissant son petit calepin de cuir d'une écriture élégante et chic comme ne robe de mariée. Elle braque grâce à son émeraude et son saphir un regard vairon aussi tranchant et sévère qu'une guillotine pour enfant sur les quatre costumes blancs.
Pour qui se prenaient donc ces quatre énergumènes ? Sous prétexte qu'il ont toute la puissance nécessaire, eux et leur quatre tours situées stupidement à une distance respectable du vrai cœur de la cité. À quoi seraient-ils réduits si les chers habitants étaient mal logés, entassés au-delà du raisonnable dans des baraques tellement branlantes que le moindre souffle chaud de ce beau gâchis de désert environnant les ferait s'effondrer ? Ah, c'est sûr, ceux qui ont vraiment du travail, qui se tuent à la tâche quotidiennement, qui suent du sang pour faire en sorte que l'organisation des bâtiments, des routes, des habitants soit aussi rodée et fluide que la course du soleil dans le ciel, ceux-là peuvent toujours espérer qu'on fasse appel à eux pour prendre les décisions importantes. On les convie chez les grands pour leur jeter un os d'importance à ronger, mais finalement, il ne s'agit que d'obéir aux ordres comme un vulgaire fantassin-démon ! Une Grande Migration ! La décision n'a pas du être trop difficile à prendre de leur point de vue. Le déplacement de millions de personnes n'était pas leur souci majeur, ne les concernaient pas vraiment... Abrutis va !
Finalement, les deux personnes les plus outrées par une telle annonce furent le couple d'artistes. En tant que seuls véritables lieux de divertissements, l'amphithéâtre des Sables d'Otrun et le musée des arts plastiques Divina avaient très fortement insisté pour participer à cette assemblée extraordinaire concernant les derniers évènements. Comme ils avaient eu raison !
Chacun des représentant artiste ne laissait aucun doute sur sa provenance. L'homme était affublé d'un accoutrement aussi bariolé que l'aurait été un champs de bataille entre une armée de tubes de gouache et un pilon géant. Sans être (trop) ridicule ni (trop) agressif oculairement parlant, ses vêtements exploraient une palette incroyablement large de couleurs. La femme quant à elle présentait plus classiquement, même si la surcharge de bijoux provoquait tintements et cliquetis au moindre de ses gestes. Elle tonitruait pis qu'un drakkar rempli de Vikings ivres. La colère donnait à ses paroles des harmoniques douloureuses pour les tympans non-entrainés. La baie vitrée de la salle ne faisait pas la fière.
On ne voit ni n'entend souvent les Artistes au sein des Tours. Ces deux-là rattrapaient le temps perdu...
- Il y en a ras-le-bol ! cria-t-il.
- Ce sont toujours les mêmes qu'on sacrifie ! vociféra-t-elle.
- Nous ne faisons peut-être pas partie des "grands" de ce monde, mais nous avons le droit d'être préservés quand il y a danger !
- Et qui s'occupera de...
- Suffit ! trancha l'une des Quatre Cerveaux. Le ton était si impératif qu'il rappela tous les esprits à l'ordre du jour.
- La Grande Migration n'est qu'une mesure de sécurité. Elle ne sera pas effective à 100%. Nous allons envoyer des personnes fraîchement formées à un endroit sûr, mais aucune n'aura à quitter Gesserit. Au contraire, nous allons avoir besoin du plus grand nombre. Voyez-vous, Delphes n'aurait pas du disparaître aussi subitement. Nous avons mis en place un grand nombre de passage secrets, routes secondaires peu fréquentées, réserves d'énergie de secours et autres systèmes de sécurité élaborés pour prévenir l'une ou l'autre cité d'un danger.
> Sachez qu'un convoi de réfugiés venant de Delphes est arrivé cette nuit par l'une de ces routes secrètes dont je viens de vous révéler l'existence. Il ne s'agit pas vraiment du protocole prévu, mais nous entendons cette arrivée comme le dernier soupir de Delphes. Aucune autre communication n'a pu être établie après cela. Le fait qu'aucune de nos alarmes n'ait été déclenchée nous fait craindre un acte de sabotage.
> C'est pour cette raison que ces rescapés ont été placés en quarantaine, avec interdiction formelle de parcourir le cité. Le fait qu'aucun d'eux ne parle un de nos langages connus m'oblige à prohiber toute activité non contrôlée les impliquant. Afin de percer le mystère, nous avons placé l'un d'entre eux entre les mains expertes du docteur Tronon. Il a pour charge de l'examiner de façon la plus superficielle possible. Aucun contact direct, aucune interaction d'aucune sorte. Toutes les précautions ont été prises pour éviter qu'une quelconque catastrophe ne s'abatte sur la Cité.
Et maintenant, si vous le désirez, nous allons nous rendre au laboratoire afin d'observer l'examen. Et qui sait ? Peut-être l'un d'entre vous remarquera un détail important passé inaperçu ou bien arrivera à comprendre quelques mots du rescapé en train d'être examiné ?"
Une invitation pareille en surprit un grand nombre dans l'assistance. Rares étaient les privilégiés pouvant accompagner les Cerveaux d'Elentil dans l'une de leurs activité. Recevoir et traiter leurs requêtes, ça n'était que le traitement habituel, mais être convié à l'une d'elle, presque comme un égal... Cela valait le déplacement à ce Conseil.
Tous se levèrent. Laissant passer les quatre hommes et femmes en costumes blancs, des discussions sérieuses naquirent parmi les représentants de la Cité. Le Seigneur Démon s'enquit auprès du Contremaître des mines s'il n'était pas possible de bricoler une dérivation dans le circuit de distribution d'énergie afin de s'en servir comme arme contre les envahisseurs, ce à quoi le Contremaître répondit que même si une telle entreprise venait à être mise en œuvre, il n'existait aucune technologie permettant d'user l'énergie des montagnes de manière offensive. Le Démon maugréa. Erat Then et le Cadastre étaient en pleine prise de bec, opposant ardemment les avantages et inconvénients du chaos et de l'instinct de la Nature d'une part et la rigueur et le déterminisme contrôlé de la Technologie d'autre part. Une défense organisée et hiérarchisée est primordiale ! L'instinct de survie sera toujours supérieur et créatif que n'importe quelle stratégie !... Aucun n'arrivait évidemment à convaincre l'autre. La possibilité d'une Grande Migration avait suscité beaucoup de crainte dans l'assistance, surtout chez les Artistes. Ces derniers énuméraient avec passion et nostalgie les différents groupes musicaux, écrivains, metteurs en scène, peintres et autres talentueux afin de lister ceux qui mériteraient d'être sauvés. Vainement.
Les quatre Cerveaux d'Elentil se dirigeaient d'un pas calme vers une grande double-porte coulissante. Elle s'ouvrit dans un chuchotement et donnait sur une cabine de ce qui pourrait passer pour un ascenseur vitré. Le sol était d'un gris métallique froid et brillant. La vue était splendide. Du haut de la plate-forme joignant les Tours où ils se trouvaient, les millions d'habitants de Gesserit paraissaient comme des pixels de couleurs sur l'écran illuminé des rues.
Les personnages en blanc se souciaient peu de la beauté de la neige irisée qui défilait sous leurs pieds, ni que des attaques répétées aux limites de la cité. Ils savaient que l'armée démoniaque les tiendrait en respect aussi longtemps que nécessaire. Et puis après tout, le monde extérieur avait toujours été hostile, il pouvait s'agir ici que d'une simple poussée d'adrénaline de la part des assaillants. Ce qui assombrissait leurs esprits était les robes noires des rescapés de Delphes. Leurs occupants pour être précis. Les Tours d'Elendil possédaient les ressources suffisantes pour pouvoir identifier n'importe quelle créature vivante, retrouver sa race parmi les immenses connaissances accumulées dans les riches bibliothèques. Personne n'a pu identifier la leur. La seule explication possible, à défaut d'être raisonnable, était soit qu'ils venaient d'une autre planète ou d'une autre dimension, soit qu'ils avaient été crées par magie, soit... autre chose.
Ce qui était certain cependant. Ce ne sont pas ses enfants que Delphes a envoyé dans ces chariots comme ultime message avant son annihilation.
Chacun prit place dans la cabine. Aussi doucement que possible, celle-ci se détacha de son support et flotta dans les airs vers une direction certainement programmée d'avance car personne n'indiqua de destination. Il n'y avait d'ailleurs aucune commande. Les habitants de la cité qui auraient levé les yeux auraient vu un spectacle assez singulier, même pour Gesserit. Une plaque de métal transportant onze personnes dans les airs, entourées d'un grand nombre d'oiseaux de toutes sortes et dont quatre auras blanches se chamaillaient la vedette avec un concentré de camaïeux multicolores et une sale luminescence vert-noir.
Ils avaient survolé plusieurs quartiers de la cité et ils entamèrent leur descente vers un grand bâtiment pas très haut mais étendu et d'aspect résolument scientifique : beaucoup de verre, une grande cour intérieure où fleurissaient arbres et gazouillaient cascades et oiseaux, des nombreuses blouses blanches étaient arborées partout, des cheminées crachaient des fumées aux consistances et couleurs étranges. Ils atterrirent juste en face de l'entrée, sur un chic parvis joliment fleuri où des laborantins profitaient du cadre pour faire une pause et se changer les idées. Le cortège descendit de la cabine, tous silencieux. Les représentants des Tours parce qu'ils n'avaient somme tout pas grand chose à dire, les autres parce qu'ils étaient trop concentrés pour ne pas perdre une miette de leur visite dans ce musée des curiosités usuellement réservé au personnel autorisé.
Une fois passées les hautes portes de plexiglas, ils déambulèrent dans bon nombre de couloirs, croisèrent divers corps de métier que la communauté scientifique de Gesserit pouvait offrir : mathématiciens, biologistes, physiciens, virologues, astronomes... chacun se livrant à de complexes calculs sur de grands tableaux lumineux multicolores ou manipulant tubes à essai et autres béchers contenant des fluides plus ou moins sympathiques...
Ils arrivèrent devant un lourd panneau d'acier. Sans faire quoi que ce soit, celui-ci coulissa vers le haut et offrit l'accès à une la salle truffée d'écrans et d'instruments de contrôles. Une baie transparente la séparait d'un laboratoire au milieu duquel se trouvait une cabine, elle aussi translucide. Dans cette cabine, on distinguait clairement un individu vêtu de le tête aux pieds de longues robes d'un noir si intense que l'on devinait plus les replis que l'on ne les distinguait. Un des rescapés.
Dans le laboratoire, le docteur Tronon, un homme de grande stature, chauve, d'âge mûr et avec une barbichette blanche. Il avait passé ses bras dans d'épais gants de caoutchouc scellés dans les parois de la cabine afin de pouvoir y faire des manipulations à l'intérieur tout en la maintenant totalement hermétique. Il avait relevé l'une des manches de la robe sombre du rescapé et tenait son poignet dans la main. Enfin... ce qui devait être un poignet. Les contours du bras étaient bizarrement flous et distordus. L'oeil avait du mal à distinguer la forme et les couleurs, comme lorsque l'on tente de faire le point sur cette image représentant simultanément un vase et deux visage humains face à face, ou encore quand on observe de la lumière ultraviolette. La taille du membre variait par endroit, ainsi que la teinte. La couleur de l'épiderme passait du rose bébé au vert malade. De même, par endroits, on avait l'impression de distinguer des écailles, du duvet, des plaques, sans aucune répartition précise ou biologiquement sensée.
De son autre main, le docteur tenait une seringue qu'il avait enfoncée dans cet improbable bras.
Dès que cette scène apparu aux yeux des Cerveaux, l'un d'entre eux se précipita dans la salle de contrôle aussi rapidement qu'une nuée ardente et fondit sur l'un des micros.
- Docteur Tronon ! Qu'est-ce que vous foutez ? tonitrua le Cerveau d'Elentil.
- Heu... vous voyez bien, j'effectue une analyse sanguine...
- AUCUN EXAMEN APPROFONDI AI-JE DIT !
Immédiatement, il appuya sur un gros bouton-poussoir rouge situé sur le mur à proximité. De massifs et impénétrables volets métalliques tombèrent lourdement pour isoler le laboratoire de la salle de contrôle. Un bourdonnement puissant fit trembler les entrailles des êtres vivants environnants tandis qu'une lumière douloureusement éblouissante filtrait à travers les quelques fentes des volets fermés. Un silence lourd de crainte s'ensuivit.
Un tout petit peu auparavant, quelques quartiers plus loin et plus résidentiels, dans une grande maison désagréablement sombre et calme, quelqu'un se réveilla d'un sommeil artificiel. L'individu fixa quelques instants le plafond bleuté à travers les grains de poussière qui flottaient dans l'air encore saturé de gaz soporifique. L'odeur était d'ailleurs entêtante et piquante à la fois, comme une grande bouffée d'air marin en hiver. Il dégagea sa capuche afin d'observer les autres. Des blocs de grès auraient paru plus animés. Il se leva dans un froissement de ses amples robes noires, qui parut comme un véritable vacarme dans le silence de tombeau du lieu, et se mit à avancer. Il déambula dans quelques couloirs poussiéreux, traversa deux chambres semblables à celle qu'il venait de quitter, toutes peuplées des mêmes silhouettes sombres endormies. Il descendit un escalier de bois branlant pour atteindre le rez-de-chaussée, lui aussi converti en dortoir / tombeau.
Toutes les fenêtres de la demeure avaient été condamnées pas d'épaisses planches solidement fixées au mur et qui n'avaient pas l'intention de quitter leur poste sans un combat acharné contre de gros outils. La lueur matinale filtrant entre les interstices était la seule source de lumière du lieu... à laquelle venaient se rajouter les clignotements rapides et colorés des caméras de sécurité dans l'entrée. De vraies petites merveilles de technologie. Ces yeux électroniques pouvaient capter le moindre mouvement, la plus infime source de chaleur, la plus discrète odeur étrangère, les activités électriques des êtres vivants et certaines catégories d'auras. Leur réglages avaient demandé beaucoup d'effort pour prendre en compte la "vie" inanimée de la maison et ne pas sonner l'alerte au moindre grain de poussière qui avait eu le malheur de se faire emporter par un courant d'air inopportun. Situées dans les coins de la maison au niveau du plafond, elles balayaient absolument toutes les surfaces possibles, chacune couvrant les angles morts de l'autre. Elles étaient configurées pour lancer le programme d'incinération du bâtiment si elles détectaient une quelconque activité autre que le coma provoqué par le gaz qui était diffusé sans relâche depuis l'arrivée des rescapés de Delphes dans ce lieu.
Le seul d'entre eux qui paraissait ne pas être transformé en statue de sel pose un pied sur la dernière marche de l'escalier, laquelle gémit, et finalement sur le plancher sur rez-de-chaussée. Il y avait un salon remplit de paillasses et partout où l'on pouvait caler relativement confortablement un être humanoïde, était allongée une forme noire et immobile. Par delà le salon se trouvait l'entrée dont la moindre parcelle était sous surveillance électronique et enfin, la seule ouverture sur le monde extérieur, sans porte, mais protégée par un champ de force puissant et imperméable à toute tentative d'intrusion.
Le rescapé avança, laissant des empreintes avec ses sandales dans la fine couche de poussière qui couvrait le plancher vermoulu. Il jeta un œil impassible aux caméras qui scrutaient la pièce à la recherche du moindre signe de vie. Il arriva dans l'entrée. L'odeur du gaz était plus intense ici, comme si l'on voulait que chacun arrivant soit immédiatement mis hors d'état de nuire et que les dernières forces d'un candidat à l'évasion soient anéantis par cet épais nuage chimique. Il toussota, sans doute à cause de toute cette poussière, et eut une pensée furtive pour les détecteurs phoniques cachés un peu partout, lesquels auraient pu entendre la course d'un nuage dans le ciel.
Il se tint devant la porte et regarda l'extérieur, la demeure de l'autre côté de la rue, les passants, l'imposant garde-démon posté là. Il ne ressemblait pas à son congénère qui gardait la route de la Cité qui avait vu arriver les Delphois. Celui-ci était beaucoup plus grand, près de trois mètres, son corps était recouvert d'une armure métallique hérissée d'épines acérées qui reflétait la lumière en motifs arrondis complexes comme l'aurait fait du mercure. À l'extrémité de ses deux paires de bras qui se rejoignaient au niveau des aisselles, ses doigts étaient des lames si tranchantes qu'elles ne déplaçaient pas d'air quand elles bougeaient : elles le découpaient.
Nullement intimidé par l'impressionnante silhouette du garde, le rescapé approcha sa main du champ de force qui protégeait la porte. La réaction qui s'y opposa aurait projeté un titan en arrière en l'assommant pour une longue durée. La manche noire et la main informe et floue qui la terminait ne fit que s'arrêter à la frontière entre l'intérieur de la demeure et le monde extérieur. L'individu ferma les yeux, prit une profonde inspiration et força. L'extrémité de ce que l'on pouvait prendre pour sa main s'avança de quelques centimètres supplémentaires, de plus en plus lentement, comme si le champ de force avait la consistance d'une toile de caoutchouc tendue à l'extrême.
Sans effort apparent, il insista encore. Sa main passa...
Et ne passa pas.
Dès l'instant où le bout de ses doigts ressentit l'air parfumé de l'extérieur, l'évadé s'immobilisa complètement. Sa main à lui n'avait pas franchi la paroi du champ de force. C'était celle d'un autre qui commençait à sortir. Une main tout ce qu'il y a de plus humaine, avec ses cinq doigts et sa peau rose et bronzée que le bras qui la suivait. Un corps émergea de la porte, mais celui qui se trouvait sur le pas ne bougeait pas. Une fois totalement "sorti", le nouvel individu se tint droit derrière le garde terrifiant qui n'avait pas bronché. Il était grand, de visage assez commun avec un début de calvitie. Ses vêtements étaient passe-partout : pantalon de velours marron, chemise noire délavée, veste en lin, chaussures beiges. Sa paire de lunettes noire et rectangulaire lui donnait un air d'intellectuel fragile.
Il se retourna pour faire face à son homologue en noir de l'autre côté de la frontière entre dehors et dedans. Celui-ci avait baissé son bras et sa manche recouvrait désormais son apparence discontinue. Ils se regardèrent froidement, sans amitié ni mépris, la visage aussi illuminé que s'ils observaient un mur de béton nu. Celui qui était à l'extérieur parla enfin, d'une voix presque joyeuse :
- Adieu mon clone. Si tout se passe bien, je ne te réintégrerai jamais.
Puis, il se tourna vers le dos du garde et sans la moindre hésitation, donna quelques petits coups sur son armure pour signaler sa présence, en prenant soin de ne pas s'empaler la main sur l'une des piques incroyablement pointues. Le démon se retourna vivement et braqua sur l'homme un regard qui aurait fait fuir Gengis Khan de terreur. Mais l'individu ne fut pas impressionné et déclara le plus simplement du monde :
- Inutile de m'attendre, je ne compte pas revenir.
Le garde continua de le fixer de son pénétrant regard aux reflets de rubis. Son visage métallique resta impassible et ses mâchoires dévoilèrent légèrement des crocs qui auraient pu trancher du diamant comme un couteau tranche une pomme. Mais il ne fit rien de plus. Sans être satisfait ni pour autant suspicieux, il repris sa position initiale en tournant le dos à la maison.
Ce fut tout. Les deux clones se séparèrent, l'un allant rejoindre sa paillasse en dépassant tous les équipements de détection ultrasophistiqués et désespérément muets, l'autre s'en alla se mêler à la foule sous le regard du démon qui avait une fois failli détruire les Tours d'Elentil à mains nues pour éliminer un renégat en fuite.
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